Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

220 nous ne parlons naturellement que des plus estimables - ce qui manque le plus c'est la force rayonnante~ la puissance d'entraînement, d'unification, de synthèse. La tendance à la voltige, à la dispersion, aide à comprendre pourquoi la politique française se répartit et se fragmente entre les clans, les groupes, les comités, les camarillas et glisse constamment vers l'incohérence anarchique, ce qui ne l'empêche pas, ce qui la prédispose au contraire à subir la loi des puissants appareils de contrainte matérielle• qui se rient des jongleries dialectiques. Une} loi inflexible veut que le désordre stérile des pensées et des actes ouvre la voie à la nécessité brute, que les libertaires tombent tôt ou tard à notre époque dans le servage mécanique ou dans:celui, pis encore, du totalitarisme stalinien. Descendant vers les étages moyens et inférieurs de l'édifice, nous ne sommes pas surpris d'y relever à des dimensions variables les symptômes du même mal. Rousseau notait fort pertinemment que les vices et opinions des grands retombent en cascades jusqu'au niveau des laquais I et des porteurs d'eau car, dans une société donnée, on voit s'établir même entre ceux dont les intérêts s'opposent de curieuses similitudes psychologiques. 11 n'y a donc pas lieu de s'étonner si les classes moyennes en France, menant en fait une existence très conformiste, croient bon d'adopter des allures dilettantiques et, sous prétexte de largeur d'esprit, de flirter avec des idées scabreuses ou très inopportunes qui d'ailleurs ne les préservent pas d'une crédulité moutonnière jouant fréquemment à contresens. Plus généralement le fameux individualisme français dont il est tant parlé se réduit dans la plupart des cas à une négativité qu'on tient pour élégante, habile ou fière, alors qu'elle est seulement· refus ou dérobade, veulerie bien plus que volonté. 11va de soi qu'on souhaite tempérer ces pénibles appréciations par l'hommage rendu à des héros mal soutenus et bien peu suivis, à de brusques redressements collectifs tardivement efficaces ; mais, si large que soit faite la part de ces heureuses anomalies, elles ne sauraient compenser le mouvement de dispersion atomique, la tendance au moindre effort et à la commodité paresseuse. On ne prétend pas esquisser de la sorte un jugement moral tout à fait recevable ; du moins est-il clair qu'aucune méditation sur la décadence française ne peut s'abstraire d'un diagnostic forcément subjectif qui porte sur des réalités fuyantes et changeantes. Encore n'est-ce pas assez dire, à beaucoup près. Comment envisager l'avenir de la France si l'on ignore les problèmes .qui, chez elle peut-être plus que partout ailleurs, BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL tyrannisent toute vie politique, lui impriment on ne sait quoi d'artificiel ~t de creux, de violent et de sectaire au détriment de toute vraie logique ? Dans nul autre des pays démocratiques l'enseignement n'est plus constamment faussé par l'ambition idéologique, l'abus des théories et . des marottes, le manque d'équilibre, le foisonnement des diplômes, le noyautage des partis, la propagande pseudo-marxiste toute-puissante en face d'une administration blasée, débonnaire, indifférente ou complice. Nulle part les querelles religieuses n'ont conservé en permanence un tel caractère d'aigreur chicanière et passionnée, modelé sur des traditions et des souvenirs sans aucun rapport avec le monde moderne. Le décalage entre la phraséologie et les faits, l'inaptitude à concevoir un ordre d'urgence, une hiérarchie convenable des périls et des tâches, sont ainsi , . portes au maximum. En vain répète-t-on jour après jour qu'il faudrait au moins ~'entendre sur ce qui dans l'immédiat importe' le plus, en vain montre-t-on sans grand-peine qu'il existe entre presque tous les partis de larges possibilités d'accord pratique ; les essais de rassemblement pour l'action ou même de coalition conclue sur un programme limité s'effondrent les uns sur les autres et jamais on ne sort de l'atmosphère des conclaves byzantins, bien que la réalité se moque naturellement des logomachies inlassables et dicte des décisions, parfois bonnes, qui dessinent une suite empirique sous le tohu-bohu des virevoltes et des contradictions. -Devrons - nous - prolongeant notre analyse autant que nous en aurons la force et les moyens - nous résigner à conclure que la France est sérieusement malade, dangereusement malade, surtout parce qu'elle ne veut pas s'appliquer des. remèdes qui forment pourtant la plus classique des thérapeutiques, celle dont les ordonnances sont toujours en période de crise rédigées en des formes équivalentes : discipline, travail, courage, subordination de l'accessoire au principal, du détail à l'ensemble ? Avant de prononcer la sentence ou de l'avaliser à regret, il faut encore consulter l'histoire qui sous nos yeux prend sens et forme. Alors nous nous apercevons que le peuple dont nous avons dit les faiblesses a su vivre en la disette avec une ingénieuse ténacité, puis s'est, 'en ces dix dernières années, accru en nombre et sensiblement enrichi au point que seules les finances publiques paraissent faméliques dans un pays prospère. Moins frappant, moins · méritoire que celui de l'Allemagne, ce relèvement· économique ne laisse pas d'être encourageant -d'autant qu'il a dû faire les frais d'une onéreuse politique sociale; l'abondance des capitaux et

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