Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

QUELQUES LIVRES d'Hammourabi a droit à tout notre respect, comment nier que l'organisation du travail à notre époque, le triomphe de la machine et demain de l'automation, la désertion des campagnes et le gonflement des villes, le dirigisme, le communisme, sollicitent bien autrement la réflexion? L'architecture d'une Histoire du Travail ne peut se modeler sur celle d'une Histoire générale. Demander à un auteur de dépasser son programme, le trouver trop laconique au moment où l'on voudrait de plus amples développements, c'est reconnaître qu'on l'a suivi fidèlement et qu'on cherche à prolonger le voyage. On n'en aurait nul désir si Lefranc n'avait pour nous solidement dessiné les perspectives et posé les questions finales. Son livre est un outil intellectuel de bon aloi et, comme on aimait dire, fait de main d'ouvrier. L. EMERY Culture française en Tchécoslovaquie GEORGES PISTORIUS : Destin de la Culture francaise dans une démocratie populaire. Paris, Les Iles d'Or, 1957, 290 pp. - Pourquoi faut-il apprendre le russe? - Parce que c'est la langue mondiale du progrès et de la paix. - Pourquoi, à côté du russe, enseigne-t-on quand même l'anglais ? - Parce que c'est la langue du Doyen de Canterbury que les conservateurs britanniques voudraient voir pendre, et celle d'Howard Fast dont les ouvrages sont brûlés publiquement en Amérique. - Et le français, pourquoi l'étudier? - Pour connaître la belle langue de Balzac, d'Aragon, de Raymonde Dien et des dockers de Marseille. Lidové Noviny, organe de l'Union des Écrivains tchécoslovaques, Prague (11/51), cité par Paris-Presse (16/11/51). AVEC une clarté et un talent exemplaires, et dans un français sans reproche, Georges Pistorius, qui a résumé pour cela des monceaux de documents, fait le bilan des contacts culturels franco-tchécoslovaques de 1948 à 1956 et signale quelques perles d'inculture. Toute la vie et toute la pensée, dans un pays totalitaire, ont pour cadre et pour limite le Parti. Il n'est donc pas surprenant que la formation d'un professeur de français stalinisé, à l'Université Masaryk de Brno, accorde plus de place, durant huit semestres d'études, au «marxisme-léninisme», à l'éducation prémilitaire, à la langue tchèque, au pavlovisme, au matérialisme dialectique et à l'économie politique qu'à l'étude de la langue et de la civilisation « de Balzac, d'Aragon, de Raymonde Dien» et de... Marius. Il n'est pas non plus étonnant que l'histoire et la géographie - celles, entre autres, de la France - soient, à Prague « actualisées » de façon à dire quelque chose aux jeunes étudiants tchèques. Que sont- pour eux- la Touraine ou la Savoie? ... Biblioteca Gino Bianco 269 En rattachant, selon les méthodes d'une saine pédagogie, l'inconnu au connu, on arrive aisément à situer Tours comme le siège du Congrès socialiste ou, en 1920, le social-faciste de droite Léon Blum fut battu par la majorité communiste. Quant au mont Blanc, n'est-ce pas cette prétendue élévation de terrain que les diversionnistes cosmopolites ont tenté de faire passer pour le plus haut sommet d'Europe, aux dépens du mont Staline? Dans leur manuel d'histoire générale pour la classe de troisième des lycées, les jeunes Tchèques apprennent que le Moyen âge européen se termine avec Pierre-le-Grand (la Russie étant, bien entendu, le pays le plus avancé et celui qui s'arrache le premier aux ténèbres pour entrer dans l'ère moderne). Le Français le plus ancien qui soit nommé dans ce manuel est Jean Calvin, qui éleva en idéologie religieuse l'exploitation du travail plus tard dénoncée par Maurice Thorez; et le personnage contemporain le plus popularisé par l'image est Marie Curie, annexée, par voie de famille et d'alliance, au Parti communiste (et qui a, de plus, l'avantage d'être d'origine slave). Tout cela, encore une fois, n'a rien qui puisse scandaliser, une fois admis le principe de ne considérer et de n'enseigner rien qui n'ait une utilité, ou du moins une signification relativement au Parti et à sa doctrine. Il faut plutôt admirer l'ingéniosité avec laquelle le stalinisme a sauvé tant de choses de l'absurdité en les faisant siennes par quelque artifice. Comme tous les guides de conversation en langue étrangère, celui de Mme Anna Strizova pour les jeunes gallicistes tchèques feint de transporter ses héros par delà les frontières, pour leur donner tout à la fois une leçon de mots et de choses au contact des mœurs et coutumes d'un pays nouveau. Au restaurant, ils réclament au garçon l'Humanité et s'indignent avec lui de l'occupation par les « Ricains » ; chez le bouquiniste, ils exigent de la littérature progressiste et de la poésie résistante. (Peut-être n'était-ce pas la peine d'aller si loin pour trouver la seule marchandise dont la Tchécoslovaquie soit déjà saturée ; mais comme, de toute façon, le voyage est purement imaginaire ... ) En attendant le dégel, les « progressistes » français viennent à Prague. On les présente (n1ême s'ils sont membres et responsables du Parti) comme des révoltés naïfs, non formés aux disciplines de l'Est, et encore en proie à des contradictions bourgeoises individualistes. Mais leurs propos ressemblent aux scénarios des gtudes de conversation. Celui-ci affirme que les amendes frappant ses dessins humoristiques lui mangent tout son salaire; celui-là que les films de Hollywood sont imposés aux directeurs de salle et subventionnés aux dépens des films français (ce qui est diamétralement le contraire de la vérité); Picasso se pose en martyr de la société bourgeoise; et tous débitent aux satellites la pacotille stalinienne avec des propos dont rougirait un stalinien russe. Les interlocuteurs «valables », les « messagers » hautement représentatifs de l'opinion et des lettres

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