Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

QUELQUES LIVRES Les dernières pages du livre sont des souvenirs d'exil et de vie bureaucratique au service du Komintern. Ils nous conduisent jusqu'à Moscou et à l'arrestation finale de l'auteur et nous renseignent sur bien des choses : sur la vie des privilégiés du Parti dans les villas et les stations balnéaires de la mer Noire; sur l'existence confinée des employés du Komintern vivant à l'hôtel Lux de Moscou comme dans un ghetto ; sur l'entourage personnel et les loisirs habituels de certains chefs soviétiques comme Kaganovitch, Mikoïan et Ordjonikidzé. Partout apparaît la division rigide de la société soviétique - y compris le personnel de l'Internationale - en groupes hiérarchiques possédant, chacun à son niveau, des privilèges strictement gradués en matière de logement, d'alimentation, etc. Ces derniers chapitres témoignent également du caractère primitif et inefficace de l'appareil international clandestin, avec ses règles conspiratives enfantines, ses romantiques transports d'argent et de contrebande d'un pays à l'autre, ses faux passeports . si évidemment truqués que leurs porteurs couraient les plus grands dangers. Finalement, ils expriment le sentiment de cauchemar perpétuel qui commençait à peser sur les cercles du Parti, au fur et à mesure que se précisait la menace des grandes épurations et que les commissions de contrôle commençaient à fabriquer des accusations contre les « déviationnistes ». Dans tout cela, beaucoup de détails typiques, mais nulle révélation sensationnelle, et peu de faits entièrement inédits. Mme Buber-Neumann n'était évidemment pas dans le secret des dieux, et ce que Neumann en connut ne fut point transmis à sa compagne. Le livre contient cependant pas mal de données et de conjectures, mais sans distinction bien claire entre les bavardages du « ghetto » et les faits solidement établis. Avec tous ces défauts, ce livre est vivant et réussit à émouvoir. Relatant les tribulations d'une humble fonctionnaire du parti communiste allemand dans son pays et en exil, il en présente une image qui est, de bien des façons, plus significative que telle ou telle révélation émanant de personnages plus haut placés. F. L. CARSTEN L'autre Joseph BRANKO LAZITCH : Tito et la Révolution yougoslave, Paris, Fasquelle, 1957, 280 pp. EN QUOI l'expérience du « communisme yougoslave » est-elle originale, distincte de celle de l'URSS et des États satellites? Quel fut le principe de la « dissidence titiste » et quelle demeure son orientation actuelle? A quels résultats économiques et politiques a-t-elle conduit? Et quelles perspectives ouvre-t-elle sous l'angle social, et sous l'angle international? On a parlé d'une « nouvelle voie », BibliotecaGinoBianco 265 nationale et démocratique, menant - par la gestion ouvrière, par la libre coopération paysanne, par l'atténuation du principe du Parti - à une nouvelle interprétation non-stalinienne du léninisme, du marxisme et du socialisme en général. On a fondé, sur l'exemple et l'influence décentralisatrice de la Yougoslavie et sur sa politique d'indépendance apparente à l'égard des deux << blocs », l'espérance d'un assouplissement général des contrastes entre l'Est et l'Ouest, et même d'une rupture spontanée des alliances... La promesse d'une « libéralisation » des totalitarismes actuels - sans guerres, et même sans révolutions violentes - est-elle incluse dans la cassure pacifiquement consommée en 1948 et maintenue jusqu'à ce jour entre Belgrade et Moscou? Ces questions qui, plus que jamais, passionnent l'opinion et divisent les experts (en Occidentiet ailleurs), reçoivent de Branko Lazitch une réponse claire, cohérente, fermement raisonnée, nourrie d'une connaissance directe et approfondie des réalités politiques de 1937-1956 et de leurs antécédents. On trouvera dans ce témoignage d'un ancien résistant antihitlérien sous les ordres du colonel Mihaïlovitch - aujourd'hui historien du mouvement communiste au Collège d'Europe à Bruges - une appréciation bien documentée du phénomène Tito, que l'auteur ramène prudemment aux proportions assez modestes d'une stalinovchtchina à l'échelle yougoslave. On a souvent rapproché le duel de Staline avec Trotski et celui de Staline avec Tito ; le premier s'engagea sur le triple terrain de l'idéologie, de la tactique et de la rivalité de personnes - élément qui, chez Staline, occupe le premier plan. La lutte personnelle Staline- Tito fut-elle aussi le produit de divergences idéologiques et, comme on l'a écrit, d'une véritable révolte politique? Selon Branko Lazitch, il n'en est rien. Devant la condamnation qui le frappe entre mars et juin 1948, Tito ne réagit qu'en protestant d'une orthodoxie qui, rétrospectivement, paraît entière, et d'une docilité non moins complète sur toutes les questions essentielles de la tactique communiste. Son opposition n'est ni doctrinale, ni nationale, mais personnelle : il veut, dans les limites du panthéon bolchévique, plus de place pour sa propre divinité ; il revendique une position privilégiée, après Staline, mais avant tous les autres, dans la théocratie communiste; et c'est là ce que le Géorgien ne peut supporter : l'existence d'un dauphin, d'une doublure, d'un Staline II lui est insupportable. Staline et Tito se ressemblaient trop pour se pouvoir souffrir : Les analogies entre leurs deux carrières révolutionnaires ne manquaient pas, même si l'on remontait à une époque assez lointaine. Tous deux étaient totalement inconnus lors de la fondation de leur parti respectif. Dans les dix premiers tomes des œuvres complètes de Lénine le nom de Staline est introuvable ; dans les dix premières années du PCY le nom de Tito demeure complètement inconnu. Tous deux entrèrent dans le Comité Central du Parti non par l'élection au cours des congrès qui eurent lieu à cette époque, mais par cooptation. Tous deux avancèrent dans la hiérarchie

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