266 non par leur travail avec les masses, mais par l'appareil clandestin du Parti. Tous deux devinrent les maîtres du Parti par le poste de secrétaire général, et tous deux assassinèrent ceux qui étaient les chefs du parti avec ou avant eux. De l'ancien Politburo de Lénine, un seul membre, Staline, resta en vie ; du Comité Central du PCY en 1937, un seul membre, Tito, ne fut pas éliminé. Tous les secrétaires généraux du PCY avant Tito : Philipovitch, Markovitch, Malichitch, Mavrak, Gorkitch, furent assassinés. Pourquoi Tito croyait-il que ce processus, sinon dialectique, du moins stalinien devait s'arrêter justement devant lui? (p. 156) Le rapprochement, comme on le voit, est frappant, mais il ne s'arrête pas à ces similitudes de carrière; il y a homologie d'aspirations : Durant la dernière guerre Staline s'était réservé trois fonctions : celles de Secrétaire général du Parti, de Président du gouvernement, et de Commandant suprême de l'Armée rouge. Tito assuma ces trois fonctions avant même de s'installer au pouvoir à Belgrade. Staline avait pris le titre de généralissime, accordant aux autres des dignités de maréchaux. Tito garda pour lui la dignité de maréchal, et distribua aux autres les grades de généraux. Un seul généralissime en URSS : Staline ; un seul maréchal en Yougoslavie : Tito. Staline avait proclamé la théorie de « l'édification du socialisme dans un seul pays » ; Tito a voulu l'appliquer aussi. Staline a poussé à l'extrême le culte de sa personne ; Tito a imité cet exemple. Staline a été promu le plus grand homme de science ; Tito dut se contenter d'être nommé membre de toutes les académies yougoslaves. Les poètes ont chanté la gloire de Staline ; en Yougoslavie ils ont célébré à l'envi Tito. En URSS, des villes ont été baptisées du nom de Staline : Stalingrad, Stalinabad, Stalinsk, Stalinogorsk, etc. ; en Yougoslavie, chacune des six républiques fédérées a dû donner le nom de Tito à une ville : Titovgrad, rfitovo Oujitsé, Titov Drvar, etc. Aucun autre chef communiste en Europe orientale et centrale ne s'est autant ingénié à imiter Staline. Et si Tito avait mieux connu le caractère et la mentalité de Staline, il aurait dû éviter tous ces procédés : il aurait dû bien savoir qu'il n'y avait pas deux Staline dans le monde communiste (pp. 156-7). On retrouve ici en Lazitch le parfait connaisseur des préséances de l'appareil, qui composa pour « Les Iles d'Or » (Paris 1956) une étude sur le personnel dirigeant du bolchévisme international. Parmi les passages à relire de son copieux petit volume sur Tito, citons encore : pp. 103 et 125-6, le témoignage de Mac Lean sur l'incroyable indifférence de Churchill quant au futur régime yougoslave; pp. 107 et 119, les éloges dithyrambiques de Staline par Djilas (7 novembre 1942) ; p. 123, les tiraillements consécutifs aux viols et pillages de l' Armée rouge; p. 133, l'affaire de la fédération balkanique; p. 142, le bilan des désastreuses relations dites « commerciales » avec l'URSS ; p. 212, la réhabilitation de Tito ; p. 220, les erreurs de l'Occident sur les conséquences de ce fait; p. 230, la convergence du titisme et du post-stalinisme quant à leur régime intérieur; p. 252, l'aide capitaliste à l'éc~nomie yougoslave. A. PRUDHOMMEAUX BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL Un socialiste oublié MAURICEDoMMANGET: Édouard Vaillant. Un grand socialiste, 1840-1915. Paris, La Table Ronde, 1956, 532 pp. LE LIVREde Maurice Dommanget sur le << père Vaillant » n'est pas toujours d'une lecture facile pour qui manque de la préparation nécessaire. Bénédictin du socialisme dont l'érudition immense et minutieuse n'est jamais en défaut, Dommanget a tendance à croire connue de tous une histoire dans la familiarité de laquelle il vit depuis quarante ans, et trop souvent il se borne à préciser ce que fit ou ce que dit Édouard Vaillant dans des circonstances ou en face d'événements qu'il évoque seulement d'un mot, alors que le lecteur moyen en ignore le détail, parfois même les grandes lignes. Dès le 28 avril ( 1871) à la Commune., quand Jules Miot dépose brusquement sa résolution créant le Comité de salut public, Vaillant intervient., lit-on page 36. Qui était Jules Miot? Quelle signification revêtait sa proposition, et, par suite, l'opposition de Vaillant? Il faut se reporter à une histoire de la Commune pour le savoir. C'est un exemple entre vingt. Ainsi s'explique que la personnalité de Vaillant ne ressorte pas avec plus de netteté d'un livre pourtant précis, supérieurement documenté, et désormais indispensable à l'historien du socialisme. Vaillant fut-il un homme supérieur comme l'écrit son biographe (p. 11)? Ce fils de notaire, qui put faire de longues études d'ingénieur, puis de médecin, et que l'aisance héritée des siens mit toujours à l'abri du besoin, même durant son exil à Londres après la Commune, ce rentier et propriétaire comme dira Rochefort aux jours d'inimitié (p. 183) fut sans conteste l'un des « premiers rôles» du socialisme durant près d'un demi-siècle, de pair avec Guesde et Jaurès. Il semble avoir été assez lent à s'éveiller pleinement à la vie politique, et, de ses années de Quartier Latin, Dommanget n'a pas trouvé grand-chose à retenir. Ce fut en Allemagne, aux approches de la trentaine, qu'il devint socialiste et donna son adhésion à l' Internationale. A son retour à Paris, en 1870, il fit la connaissance de Blanqui ; mais peu après il devait faire à Londres celle de Karl Marx, dont il devint presque un familier, et Dommanget voit à juste titre en lui non seulement l'un des introducteurs du marxisme en France au même titre que Jules Guesde et que Lafargue, mais un adepte du marxisme autant que du blanquisme. Les « pages choisies» que l'auteur a eu l'heureuse idée de joindre à son étude (pp. 345-510) portent témoignage en faveur de cette double filiation doctrinale. Sans doute y a-t-il quelque contradiction entre l'insurrectionnalisme en quoi l'on résume généralement la pensée de Blanqui et · l' économisme historique de Marx. Mais cela n'arrêtait pas Vaillant, en qui d'ailleurs on décèle, à travers le livre de Dommanget, bien d'autres contradictions.
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