264 Les chapitres qui suivent, composant à peu près les deux tiers de l'ouvrage, sont centrés autour de Neumann et de son destin : après avoir servi en divers pays l'Internationale communiste, particulièrement en Chine, le jeune premier du national-bolchévisme tombe en disgrâce, est rappelé à Moscou et disparaît dans l'épuration de 1937. Il est touchant, mais en même temps regrettable, que l'auteur ait ici sacrifié en grande partie l'objectivité de sa vision pour réhabiliter Neumann en tout et pour tout. Certes, il a servi de bouc émissaire pour la défaite désastreuse subie par les communistes allemands en 1933 et dont la responsabilité réelle repose sur le Kremlin. Cependant le fait subsiste : des dirigeants communistes de cette période, Neumann fut l'un des plus chimériques, des plus enclins aux aventures et des plus disposés à accomplir n'importe quel tournant sur l'ordre de Moscou. Avec tous ces défauts, il faut reconnaître à cet homme un grand courage personnel. Pendant la période où son étoile monte au firmament communiste, il n'hésite pas - bien que juif - à se présenter dans les meetings nazis et à y porter la contradiction. Il est moins heureux dans le choix de son mot d'ordre du début des années 30 : « Schlagt die Faschisten wo 1hr sie trefft » [Frappez les fascistes partout où vous les rencontrez]. Les communistes, en effet, ont généralement le dessous dans les combats de rue, et les bagarres improvisées qu'ils livrent aux troupes de choc bien mieux entraînées des nazis se soldent à leur détriment. En outre, le Parti gaspille ainsi, dans une guérilla stérile, les forces qui lui seraient nécessaires pour prendre la tête des revendications ouvrières. Certes, les organisations allemandes d'extrême-droite et les nationaux-socialistes n'ont pas reculé devant le meurtre de leurs ennemis politiques; il n'en reste pas moins assez bizarre de trouver en Mme Buber-Neumann (qui ne fait pas mystère de son anticommunisn1e actuel) l'avocate attardée d'une politique de contreterrorisme· de la part des communistes allemands - politique qu'illustrent l'assassinat de deux officiers de police particulièrement haïs et une tentative infructueuse pour tuer le général von Seeckt - le tout, sous prétexte de « rendre [aux réactionnaires] la monnaie de leur pièce » (p. 278). * )f )f DANS son effort pour laver Neumann de tout reproche, sa veuve se sert également d'un argument douteux lorsqu'elle prétend expliquer la disgrâce par le succès même. A partir de 1931, craignant qu'une Allemagne soviétique devînt dangereuse à la prééminence de l'URSS comme source de toute autorité communiste, Staline, aurait fait « tout son possible pour affaiblir systématiquement la force militante du Parti communiste allemand et pour empêcher ainsi une révolution communiste BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL en Allemagne » (p. 285). Or, Staline et la direction du Komintern cultivaient certainement un profond mépris des chefs communistes allemands, et, en leur qualité de Realpolitiker, ils avaient certainement mesuré l'extrême faiblesse du Parti ainsi que la possibilité, ou même la probabilité, d'un succès nazi; mais ils n'avaient donc aucune raison de préférer la victoire de leurs ennemis mortels, les hitlériens, à celle d'un PC allemand dominé par leurs hommes de paille et purgé de tous leurs éléments révolutionnaires indépendants qui pouvaient porter ombrage à Moscou. Les Thalmann, Remmele et Ulbricht n'étaient pas hommes à couper les ficelles grâce auxquelles ils servaient de pantins à la .Russie ; il n'y avait pas non plus grand danger qu'ils fussent remplacés par des dirigeants plus nationaux, parce que tout l'appareil du Parti était dans les mains de leurs instruments obéissants, ou dans celles des agents directs du Kremlin. Ainsi, une victoire communiste en Allemagne eût été difficilen1ent concevable comme une menace à la patrie soviétique, qu'elle eût au contraire prodigieusement renforcée sur le plan politique et économique. Il y a encore, dans le livre de Mme .BuberNeumann, d'autres passages qui paraissent peu croyables ou extrêmement naïfs. C'est ainsi que, faisant allusion, par exemple, aux troubles qui se déroulèrent à Berlin le 1er mai 1929 (lorsque les communistes reçurent l'ordre de descendre dans la rue en violation d'une ordonnance de police interdisant toute manifestation en plein air), l'auteur - qui était alors une permanente du Parti - écrit avec candeur : « La seule chose que j'ai sue, fut l'intt.rdiction des manifestations du 1er mai ; je n'ai rien connu de l'intention du PC de descendre malgré tout dans la rue» (p. 151). · Plus loin, lorsqu'il s'agit de son activité comme vendeuse de la littérature du Parti aux ouvriers berlinois, on c·roit rêver devant cette affirmation candide : « Je ne sais pas encore aujourd'hui pourquoi ces gens achetaient tout ce papier imprimé» (p. 211). Étrange commentaire à une situation où le chômage et la crise poussaieqt des milliers d'ouvriers allemands vers le communisme comme vers leur unique espoir de salut! Mme Buber-Neumann réussit-elle mieux à nous convaincre, lorsqu'elle prétend que les membres du Parti « en voulaient tout naturellement à leurs permanents d'imposer aux réunions un formalisme de plus en plus bureaucratique» (p. 209)? Certes non! Nous savons bien que tout élément critique d'opposition avait été depuis longtemps éliminé du Parti ; que les simples adhérents acceptaient avec une parfaite docilité n'importe quel geste ou grimace de leurs dirigeants; et que chaque tournant dicté d'en haut était exécuté militairement. Pas un mot, par exemple, n'était prononcé, sinon peut-être dans la stricte intimité, contre la politique· de suicide consistant à combattre les socialistes comme « Y ennemi numéro un » - politique qui ne fut abandonnée qu'en 1935, alors que Hitler était déjà triomphant. ·
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==