Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

D. H. KRUGER rialismes qui se sont manifestés dans l'histoire. 16 L'impérialisme, affirme encore Schumpeter, est un héritage des temps anciens qui a joué un rôle considérable à chaque moment de l'histoire. « C'est un trait atavique du système social et, chez l'individu, de la physiologie des réactions émotionnelles» 17 • Puisqu'a disparu le besoin vital qui a engendré l'impérialisme, celui-ci disparaîtra aussi nécessairement peu à peu, et cela, en dépit du fait que toute forme de participation à une action belliqueuse, si peu impérialiste qu'elle puisse être, tend à faire renaître l'impérialisme. Poursuivant ce raisonnement, Schumpeter soutient que plus l'impérialisme apparaît tardivement dans l'histoire d'un peuple ou d'une culture, plus vite il doit s'affaiblir : ... [L'impérialisme tend à disparaître] comme élément du système, parce que le système qui lui réservait un rôle de premier plan se désagrège et fait place, au cours de l'évolution sociale, à d'autres systèmes incompatibles avec lui ainsi qu'avec les facteurs de puissance qui le soutenaient. Il tend à disparaître comme élément des réactions émotionnelles, du fait de la rationalisation progressive de la vie et de la pensée : les nouvelles tâches absorbent les vieux besoins fonctionnels, et les énergies jusque là guerrières subissent une modification fonctionnelle. 18 Le capitalisme, en se développant, a modifié et refaçonné l'édifice social. Les entrepreneurs ont lutté victorieusement pour s'assurer une liberté d'action. Par leur succès, leur position, leurs ressources et leur pouvoir, ils ont pris une place de plus en plus importante sur la scène politique et sociale. Le capitalisme a, de même, créé la classe ouvrière, donnant une forme nouvelle à la journée de travail, aux intérêts et à la vie de famille du travailleur. Grâce aux processus capitalistes, la demande de main-d'œuvre n'a cessé d'augmenter, ce qui a permis aux travailleurs d'élever leur niveau économique et d'accroître suffisamment leur puissance sociale pour s'affirmer sur le plan politique. 19 Enfin le capitalisme a aussi grandement favorisé l'essor des professions libérales, journalistes, avocats, etc. Ces nouvelles catégories sociales ont été démocratisées, individualisées et « rationalisées » ; démocratisées par le milieu perpétuellement changeant issu de la révolution industrielle; individualisées parce que ce ne sont plus aujourd'hui des éléments objectifs, immuables qui déterminent le cours d'une vie, mais des occasions qu'il appartient à chacun de saisir ; « rationalisées » enfin parce que l'instabilité des situations matérielles impose la continuité des décisions rationnelles. Le système capitaliste a absorbé pleinement les énergies de ces nouvelles catégories sociales, à tous les niveaux économiques. Il exige de l'individu, s'il veut se maintenir dans le système, une attention 16. Ibid., p. 84. 17. Ibid., p. 85. 18. Loc. cit. 19. Schumpeter rejette ainsi les théories marxistes sur la paupérisation et l'armée de réserve. BibliotecaGinoBianco 241 constante, une concentration soutenue. Bien moins que dans les sociétés pré-capitalistes, il reste aux hommes ainsi sollicités un trop-plein d'énergie à dépenser en guerres et en conquêtes. En régime capitaliste, le trop-plein d'énergies se déverse principalement dans l'industrie elle-même ; art, science, technique et lutte sociale absorbent le reste. Ce qui jadis était énergie pour la guerre est aujourd'hui, sous de multiples formes, énergie pour le travail. Les guerres de conquête, les aventures en politique étrangère ne peuvent plus être considérées que comme de fâcheuses diversions qui ôtent tout sens à la vie. L'activité économique - et non plus la guerre - devient l'ordre normal des choses. Si Schumpeter laisse espérer que les. conduites rationnelles et économiques finiront par triompher des tendances impérialistes et guerrières, il n'en constate pas moins que celles-ci sont loin d'être éliminées. 20 • Elles se manifestent encore chez les derniers représentants de la caste militaire, dans les souvenirs historiques et dans les traditions nationales, enfin chez tous ceux qui n'ont pas appris à penser selon la raison économique et pour qui tout se ramène à la rivalité et au prestige. Le militarisme n'a pas sa place dans le monde indu~triel; mais, tout anachronique qu'il est, il conserve une force considérable. Les récentes guerres sont là pour montrer que des nations entières se laissent volontiers séduire par des rêves grandioses de conquête militaire, rêves auxquels la technique moderne confère une effroyable puissance de destruction. Mais les guerres elles-mêmes ne sauraient être imputées à la puissance économique ; la responsabilité incombe à d'autres forces encore capables, en certaines occasions, de jeter toute l'économie d'un pays dans une guerre totale. Schumpeter conclut que lorsqu'auront fini de disparaître les facteurs sociologiques de l'impérialisme - instincts de guerre, éléments du système et formes d'organisation orientés vers la guerre - l'impérialisme dépérira et doit mourir. SCHUMPETER semble bien avoir proposé une théorie qui lave le capitalisme de son prétendu vice congénital, l'impérialisme. Il montre, contrairement à Hobson et Lénine, que l'explication purement économique n'épuise pas le fait impérialisme, qu'il faut faire appel à d'autres facteurs. Guerres, conquêtes, annexions et autres manifestations aggressives n'ont pas nécessairement des racines économiques. La passion du pouvoir, les machinations de dirigeants insensés, la volonté d'imposer telle ou telle idéologie à d'autres nations, l'aspiration à l'indépendance, ont été dans l'histoire, et restent de nos jours, autant de causes de guerre. (Traduit de l'anglais) DANIEL H. KRUGER 20. Ibid., DD- 96-130.

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