240 la suite, a «énormément accru le pouvoir du gros capital et aggravé l'antagonisme entre l'industrie cartellisée et l'industrie non cartellisée >>. Les banques, auraient, elles aussi, joué un rôle considérable dans la naissance des monopoles. Dans chaque pays capitaliste, une poignée de grosses banques, qui contrôle la quasi-totalité des capitaux et revenus, tient ainsi sous sa dépendance les institutions politiques et économiques du pays. Enfin, les monopoles doivent aussi leur croissance rapide aux politiques coloniales. Le capital financier a intensifié la lutte pour les sources de matières premières, pour les exportations de capitaux, pour les sphères d'influence, pour les transactions et les concessions avantageuses, pour les profits de monopole, et de façon générale pour l'espace économique. Quand le partage du monde fut achevé, alors commença la période du monopole des colonies et, partant, de la lutte acharnée pour maintenir ou pour modifier le partage. En se développant, en se renforçant, en cherchant à dominer, à annexer et à exploiter jusqu'à la ruine les régions arriérées, les monopoles et les oligarchies ont donné naissance à l'impérialisme, que Lénine caractérise comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant. Lénine a écrit son ouvrage sur l'impérialisme pendant la guerre de 1914-1918 qui, à son avis, était la «première guerre impérialiste » et qui inaugurait ainsi une nouvelle phase, plus brutale, des luttes impérialistes. Plus le capitalisme se développe, plus la concurrence est âpre, plus la chasse aux marchés et aux sources de matières premières avive la lutte pour la possession des colonies. « Seule la possession des colonies donne aux monopoles de complètes garanties de succès contre tous les hasards de la lutte avec leurs rivaux, même au cas où ces derniers s'aviseraient de se défendre par une loi établissant un monopole d'État. » 13 Le capitalisme est ainsi devenu un système d'oppression coloniale et d'étranglement financier de l'écrasante majorité de la population du globe; une poignée de grands pays capitalistes entraînent le monde entier dans la guerre qu'ils se livrent pour le partage du butin. En régime capitaliste, écrit Lénine, il n'y a pas, il ne peut y avoir d'autre moyen que la guerre pour remédier à la disproportion entre le développement des forces productives ou l'accumulation des capitaux d'une part et le partage des colonies et des sphères d'influence par le capital financier d'autre part. 4. TANDIS QUE Hobson et Lénine cherchaient les causes de l'impérialisme dans l'économie, Schumpeter voit dans ce phénomène une régression à un type primitif de comportement humain. Chez Hobson, l'aspect atavique de l'impérialisme 13. Ibid., p. 519. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL • n'est signalé qu'en passant et nullement explicité. Il devait revenir à Joseph Schumpeter de lui reconnaître toute son importance et d'en faire la clé de voûte d'un système complet dont peuvent se réclamer les partisans du capitalisme pour répondre à ceux qui l'accusent d'être nécessairement militariste, de je'ter ses ressources dans des guerres à seule fin de pouvoir utiliser et écouler, sur les marchés conquis, des produits et capitaux excédentaires. Schumpeter fait tout d'abord remarquer que le terme «d'impérialisme» a tellement servi de cri de bataille qu'on ne sàit plus ce qu'il signifie. Or, «impérialisme» implique toujours agressjvité, l'agression pour l'agression; c'est bien ce sens d'agression n'ayant d'autre fin qu'elle-même que traduisent des termes tels qu' «hégémonie » ou «domination mondiale». C'est à partir de ce sens usuel que Schumpeter va définir l'impérialisme comme «la tendance d'un État à l'expansion violente, illimitée et sans objet» 14 • L'expansion n'a pas d'objet, ou plutôt elle est son propre objet : c'est l'expansion pour l'expansion. Schumpeter fait appel à l'histoire pour illustrer les divers impérialismes et saisir en même temps leur unité fondamentale. Ses recherches l'ont convaincu que, parmi les causes de l'impérialisme., certaines ne sont pas d'ordre économique. Indiquons entre autres les nécessités du système social, les penchants héréditaires de la classe dominante, les caprices des gouvernants, les personnalités « impérialistes >> qui ont sans cesse besoin de succès militaires pour se maintenir au pouvoir, les traditions, l'existence de moyens appropriés. De plus, Schumpeter estime avoir démontré que nombre de guerres d'expansion et de conquête ont été engagées «sans raison suffisante non pas tant. sur le plan moral que sur celui de l'intérêt raisonné et raisonnable·> 15 • Subsidiairement, cette «poussée vers l'action» ou cette «volonté de guerre » sont apparues dans des conditions où les peuples intéressés n'avaient pas d'autre issue pour échapper à l'extinction que de devenir des peuples guerriers. De telles attitudes psychologiques et structqres sociales, apparues dans un lointain passé sous l'empire de la nécessité et pour assurer la préservation de la collectivité, tendent, une fois solidement établies, à se maintenir et à subsister longtemps après avoir perdu leur utilité et leur signification. Enfin ces inclinations et ces systèmes sociaux orientés vers la guerre sont perpétués par ceux dont ils servent les intérêts propres, à savoir la classe dominante et toute catégorie sociale à qui les guerres profitent - économiquement ou socialement., Il en résulte que si les impérialismes diffèrent grandement dans le détail, ils présentent tous les mêmes caractéristiques fondamentales. Schumpeter en conclut que c'est un seul et même problème sociologique que posent tous les impé14. Joseph A. Schumpeter : Imperialism and Social Classes. New-York, 1951, p. 7. 15. Ibid., p. 83.
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