Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

JUGEMENT MORAL ET AMBIGUÏTÉ HISTORIQUE par Sidney Hook CE n'est pas l'un des moindres paradoxes de notre siècle : on voit des hommes richement pourvus de dons intellectuels, nourris des traditions démocratiques et socialistes, assumer - peut-être sans saisir tout ce que cela implique - le rôle d'apologistes d'un despotisme totalitaire. Un bon exemple de ce comportement est fourni par les écrits d'un socialiste anglais, G. D. H. Cole, actuellement président de la cc Fabian Society ». S'exprimant à l'occasion de la révolution hongroise dans un article du New Statesman and Nation en date du 12 janvier 1957, Cole condamne l'intervention du Kremlin; mais il en offre une expli- • • A •r • ,, canon qw peut etre rusement 1nterpretee comme une apologie de la sanglante restauration Kadar, et qui semblera étonnamment ambiguë à tout socialiste pour qui la liberté passe avant tout. Alors que tous les autres observateurs s'attendaient à ce qu'un régime libéral suivît la chute du stalinisme en Hongrie, Cole demeure à cet égard dans l'incertitude : Le chaos pur et simple menaçait le pays; et il n'est pas possible de dire ce qui serait arrivé si l'Union soviétique, après avoir une première fois évacué Budapest, n'avait pas r~mené ses tanks et prêté son appui à la tentative d'établir un nouveau gouvernement communiste sous la direction de J anos Kadar. Certes, « la paix et l'ordre» furent les mots de passe des forces par lesquelles Metternich et les Russes écrasèrent les tentatives révolutionnaires du x1xe siècle, mais ce serait faire injure à G. D .·H. Cole de ne point voir la différence entre ses aspirations à la paix et à l'ordre et celles des précurseurs de Khrouchtchev. Cole n'est pas sûr que les Hongrois, laissés à eux-mêmes, eussent démocratiquement réglé leurs propres destinées. Il craint qu'ils n'en soient venus aux mains et que, Biblioteca Gino Bianco de la guerre civile, quelque chose de pis que la terreur appliquée par Kadar n~ soit résulté : Cependant, dit-il, je reconnais que les Russes avaient un choix difficile à faire; car je ne me sens pas capable d'affirmer que, s'ils fussent restés à l'écart, le peuple hongrois eût été en mesure de disposer librement et démocratiquement de son sort. Les divers éléments qui s'étaient trouvés côte à côte dans l'émeute, n'ayant point de pensée politique commune, se seraient fatalement disjoints ; et le résultat probable eût été, même en l'absence d'une intervention occidentale, une guerre civile dont il eût été impossible de prévoir le résultat. Dans son premier article sur la Hongrie, Cole donne distinctement l'impression, en dépit de quelques incertitudes de plume, que, pour lui, le premier souci du démocrate socialiste est de fournir à la majorité d'une population le libre choix du régime sous lequel elle entend vivre - de même que celui des formes de propriété qui serviront de base aux relations sociales. « Les peuples, déclare-t-il, ont le droit de disposer d'eux-mêmes»; s'il accorde ce point, il semble aussi devoir admettre qu'ils ont le droit de déterminer par eux-mêmes s'ils vivront dans une société collectiviste ou non-collectiviste, quel que soit le sens que ces mots puissent revêtir aujourd'hui. Malhe~eusement, dès le 29 avril, G. D. H. Cole semble avoir conçu des doutes quant à l'indépendance et à la liberté des peuples. L'auto-détermination n'est plus à ses yeux un bien absolu. S'il existe quelque danger de voir un peuple voter librement pour un régime « fasciste » (mot que notre auteur se garde bien de définir), on peut légitimement l'en empêcher, même s'il faut recourir pour cela aux méthodes draconiennes du Kremlin. L'incertitude de la position prise par Cole en face de la Hongrie devient dès lors explicable.

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