Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

]. CARMICHAEL de partager les dépouilles des peuples conquis, ils opéraient en marge des armées conquérantes de l'islam (les effectifs de ces armées ont toujours été numériquement faibles) ; étant donnée la consolidation rapide du pouvoir musulman, les nouveaux arrivés n'étaient pas plus nécessaires dans l'administration que dans l'armée. Cependant, comme musulmans, ils étaient automatiquement exempts de nombreuses redevances, et titulaires de divers privilèges. La présence de tant d'individus superflus disposant d'avantages spéciaux, de même que l'infiltration massive des convertis dans la communauté religieuse islamique, en vinrent à exercer une pression si intolérable sur la structure fiscale de l'Empire, qu'elle rendit nécessaire sa complète réorganisation. La position privilégiée des musulmans au regard de l'impôt était désormais menacée ; la taxation allait se faire sur des bases différentes - autre pas en avant vers l'égalité. Comme on le voit, le remarquable succès de la conquête arabe au Proche-Orient - imposant la langue et la religion du Prophète à des peuples entiers sur d'immenses étendues - ne fut point, en général, le résultat d'une politique d'assimilation brutale. Ce fut plutôt, selon les termes qu'emploie le célèbre historien C. H. Becker, « la conséquence finale d'un processus économique que les Arabes, pour leur part, n'avaient ni prévu ni désiré». Et, entre autres conséquences de cette évolution, on peut citer la disparition du privilège arabe qui faisait d'eux une classe dominante. Du moment que les peuples conquis, Araméens, Byzantins, Perses et autres étaient acceptés dans le sein de l'islam et placés sur le même niveau que les Arabes, leur culture supérieure contribuait inévitablement à leur donner le dessus ; ce sont eux, et non pas leurs conquérants, qui devinrent les principaux protagonistes de la nouvelle civilisation islamique. La prédominance arabe sur l'empire islamique se prolonge environ cent vingt-cinq ans après Mahomet, jusqu'à vers 750 de notre ère; elle cesse avec l'ascension de la dynastie abbasside et le transfert de la capitale de Damas à Bagdad. A partir de ce moment l'islam devient quelque chose de tout à fait différent de ce qu'avait été la domination essentiellement temporelle d'une oligarchie de bédouins qui ne s'intéressaient point à la religion professée par leurs sujets. Maintenant, l' « Islam » désigne un État universel - en fait, l'ancien empire des Perses ressuscité. Il nous offre l'image d'une civilisation unitaire, au sein de laquelle les Arabes sont un peuple entre beaucoup d'autres - peuple que, seuls, le langage sacré et quelques éléments de la religion désignent encore comme ayant joué le rôle d'accoucheur de la nouvelle société. En réalité, les véritables Arabes s'en sont retournés, nomades impénitents, aux étendues désertiques de l'Arabie, et le nouvel État égalitaire qu'ils ont laissé derrière eux est désormais à la charge des éléments les plus avancés et les plus cultivés parmi les diverses populations que les conquérants avaient soumises. Cet État égalitaire est administré par un gouverBibliotecaGinoBianco 225 nement hautement despotique et bureaucratique, qui traite ses sujets comme une masse indifférenciée existant uniquement pour être exploitée. La bureaucratie des Califes est un héritage de l'ancien Orient, nullement une création arabe. Les cavaliers bédouins ne se souciaient nullement d'ériger un nouvel appareil administratif pour remplacer l'ancien, dans les pays où ils pénétraient à main armée; conservant l'appareil ancien, ils l'ont pris avec son bureaucratisme - et l'absolutisme régnant au sommet. Le prince arabe, qui à l'origine a été primus inter pares, devient ainsi un despote oriental à la mode antique ; la puissance de l'État est concentrée entre les mains de quelques favoris ; vainqueurs et vaincus sont réduits à un niveau commun de sujétion, et l'oligarchie arabe qui a réalisé la conquête est complètement éliminée. * )f )f CE ne fut pas l'islam qui produisit la nouvelle civilisation unitaire du Proche-Orient ; il serait plus juste de dire qu'une civilisation unitaire (dont les origines étaient antérieures à l'islam et aux influences arabes) adopta, comme un vêtement nouveau, la religion et le langage des nouveaux venus. Sans cette condition préalable, l'extraordinaire extension de la foi musulmane et de la langue arabe eût été impossible (la conquête et la conversion n'ayant joué, en l'espèce, qu'un rôle de catalyseur militaire et politique dans la construction d'un empire bien plutôt « anti-arabe » que véritablement arabique). En effet, les peuples soumis par les bédouins illettrés de l'Arabie méprisaient leurs conquérants ; leur conversion à l'islam, en faisant d'eux les égaux de leurs barbares suzerains nomades, releva leur moral et les rendit capables de donner à leur dédain une expression politique et sociale efficace ; une forte réaction anti-arabe se fit ainsi sentir parmi les Araméens, les Perses et les Byzantins assujettis. Il en résulta par contre-coup une nouvelle flambée de sentiment religieux parmi les Arabes eux-mêmes - réaction de défense bien compréhensible, puisque tout ce qu'ils pouvaient revendiquer comme supériorité vis-à-vis des populations urbaines vaincues par leurs armes était la valeur intrinsèque de leur apport sur le plan de la religion et du langage. Vers 750 de notre ère, avec le déclin de la dynastie arabe des Ommayades et l'avènement consécutif des Abbassides établis à Bagdad, tout pouvoir réel échappe au peuple du désert. C'est aussi à partir de cette époque que la foi musulmane, naguère encore traitée avec une certaine indifférence par la plupart des Arabes, prend pour eux une importance décisive. Tout d'abord ces guerriers avaient montré dans leurs entreprises beaucoup plus d'ardeur aventureuse que de prosélyti me religieux; toute activité missionnaire était abandonnée par eux aux mains des nouveaux convertis - Araméens, Byzantins, Perses - mieux préparés à ce rôle, grâce à leurs contacts anciens avec l'esprit sacerdotal d'une Église d'État et avec une religion

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