Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

226 aux prétentions universelles. Finalement, c'est l'Empire perse qui ressuscite en opposant à la conception arabe de l'islamisme son propre trait distinctif sous la forme d'une hiérarchie ecclésiastique musulmane officiellement commise à la garde des Croyants. Une fois établie cette hiérarchie, il devient de l'intérêt même de l'État d'accroître au maximum le troupeau des fidèles - intérêt profondément étranger au régime aristocratique et anti-sacerdotal des seuls Arabes. Les clercs, les scribes et les lettrés (éléments inconnus en Arabie mais essentiels au fonctionnement du despotisme oriental) voient leur rôle amplifié par la nouvelle importance accordée à la religion. Il n'est pas jusqu'au courant d'égalité, nivelant les classes sous un État absolutiste et confessionnel, qui ne contribue à donner aux scribes - inspirés d'une ferveur religieuse authentique dont l'aristocratie arabe n'a jamais été capable - l'occasion de consolider leur influence spirituelle sur le peuple. Pour les Arabes d'Arabie, la foi islamique n'avait guère été qu'un symbole commun et un ensemble de préceptes justificatifs guidant leurs assauts sur des terres plus riches. Même plus tard, la véritable propagation de l'islam, et de la langue qui en était le véhicule, fut l'œuvre d'un nombre relativement restreint d'hommes qui durent leur succès aux dissensions internes des sociétés prospères et cultivées où ils s'infiltraient. C'est seulement au cours des troisième et quatrième siècles après Mahomet que l'islam commence à acquérir le· statut de religion qu'il a conservé jusqu'à nos jours. Quant à la langue arabe - le bien le plus précieux des tribus nomades, barbares à tous autres égards - si elle a donné son unité au monde islamique, elle n'en a pas fait une nation arabe. Les conquérants étaient trop clairsemés dans leur extension sur d'immenses espaces, disproportion qui s'accentuait à mesure que se multipliaient leurs conquêtes. Comme résultat de cette dispersion, et de l'institution de la polygamie, les Bédouins d'origine furent ethniquement submergés dans le cours de quelques générations, et le «monde arabe» devint un nom sans avoir jamais été une réalité. II QN ne saurait trop insister sur _le fait que le mot «arabe » prête à confusion si on lui confère une signification uniforme à travers l'espace de deux millénaires. L'arabisme, comme réalité politique, est récent et ne remonte qu'à la fin du siècle dernier. Avant l'apparition de l'idée nationale en Europe, les populations humaines, quelles qu'elles fussent, ne se considéraient pas comme rattachées à une «nation ». Leur appartenance essentielle était fondée sur la religion, la classe ou l'habitat. Jusqu'au surgissement contemporain d'un nationalisme arabe, c'est donc essentiellement en tant que musulman ou chrétien, en tant que pâtre, guerrier ou commerçant, en tant qu'habitant de telle ou telle localité ou membre de telle tribu, qu'un «Arabe » prenait conscience de lui-même. BibliotecaGinoBianco • LE CONTRAT SOCIAL Dans la langue même qu'il tenait de ses aïeux, arabi, qui signifie simplement «nomade », n'impliquait point d'autre sens. C'est ainsi que dans les recensements égyptiens du début du xxe siècle, l'appellation «Arabe» était réservée aux 60.000 membres des tribus errantes, transhumant à travers la péninsule du Sinaï et autres régions semi-désertiques. La langue arabe définissait-elle un peuple déterminé ? Pas davantage. Dans un passé encore récent, parler arabe n'avait aucune signification ethnique; c'était le fait de n'importe qui, bien qu'il fût conventionnellement admis que le plus pur idiome fut parlé parmi les «vrais » Arabes, les Bédouins d'Arabie. A l'apogée de l'islam, l'arabe parlé était la Zingua franca d'un État universel en même temps que son langage érudit ; avec la décadence de l'islam, son usage se trouva peu à peu restreint aux peuples dont il était devenu la langue maternelle. Ce n'est qu'au cours de notre siècle, après que le langage fut devenu le principal critère des nationalités en Europe, que la langue arabe acquit son rôle comn1e symbole ostensible d'une nationalité potentielle. Ce qu'il y a de plus curieux dans la renaissance «nationale» arabe· contemporaine, c'est qu'elle soit en bonne partie l' œuvre de missionnaires chrétiens (venus de Grande-Bretagne, de France et d'Amérique) qui établirent missions, hôpitaux et écoles en Proche-Orient durant la deuxième moitié du x1xe siècle. Le nationalisme arabe a pris naissance en Syrie et au Liban comme résultat de la convergence de deux intérêts : celui des missionnaires chrétiens, et celui des communautés chrétiennes de langue arabe établies dans ces pays. Ce qu'on pourrait appeler l'intérêt idéologique des missionnaires chrétiens était tout à fait évident : il s'agissait de reconvertir à la foi chrétienne la grande communauté schismatique qu'était l'islam. Mais la forme que prit cette entreprise ne peut que faire naître un sourire sur les lèvres de l'observateur désintéressé. Les missionnaires ne tardèrent pas à découvrir qu'il était hors de question de convertir un nombre tant soit peu important de musulmans. Dès le départ, l'entreprise révélait sa futilité. Cependant le rassemblement de fonds en Europe et en Amérique pour un travail missionnaire parmi les musulmans - de même que parmi d'autres peuples «arriérés» - avait pris une très grande extension; ç'aurait été demander l'impossible que de conseiller la renonciation à ces fonds. Ce qui arriva, inévitablement, fut que la bonne œuvre se ,perpétua bien dans les pays musulmans, mais seulement parmi leurs populations chrétiennes. Certes, il y eut des «conversions», mais non pas de musulmans ; simplement les chrétiens passaient d'une dénomination ecclésiastique à une autre. En fait, le travail des missions en terre d'islam se bornait à un braconnage réciproque. En même temps, les anciennes communautés chrétiennes du Proche-Orient, liées à l'Europe comme elles l'étaient par divers rapports historiques, devenaient le canal naturel pour la communication d'idées européennes, et plus spécialement

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