Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

.98 du développement économique le « simple ouvrier >~, la « simple main-d'œuvre », et conformément à sa théorie de la valeur de la force de travail, il voit dans l'ouvrier l'unique créateur de tous les biens produits. Seul le simple ouvrier .crée le surproduit, la plusvalue qui, à son tour, détermine la « reproduction élargie » du capital. C'est lui qui nourrit les capitalistes et l'Etat qui les protège ainsi que les « castes idéologiques ». Quand !y.larx écrivait cela, les simples ouvriers travaillaient dans les fabriques 15 à 18 heures par jour, les enfants étaient astreints au travail, rien n'existait qui ressemblât aux lois sociales actuelles ; la mortalité, dans des conditions aussi dures, était très élevée, la durée moyenne de la vie, notamment en France, n'était que de 35 ans, au lieu de 64 actuellement. Toute la conception de Marx dérivait de coordonnées techniques, économiques, politiques et sociales profondément .différentes de celles qui existent· de nos jours dans les pays avancés. Ses bases sont aujourd'hui archaïques. Ses formulations théoriques (valeur de la force de travail, développement agraire, circulation des marchandises, reproduction du capital social, etc.), en raison de leur carac~ère simpliste, n'embrassent ·ni n'éclairent la réalité constamment changeante. La nature prophétique de Marx, étant donnée son animadversion envers l'ordre de choses existant, a élevé sa pensée à une hauteur considérable, l'a .projetée loin en avant. mais la pesanteur et l'esprit de l'époque ont marqué Marx d'un sceau indélébile. Avec tous ses moyens de recherches dépourvus,· soit dit en passant, de base statistique réelle (il n'y avait pas de véritable statistique à l'époque), Marx n'a pas dépassé la première moitié, et dans la « théorie~de la plus-value » (publiée en 1906 seulement), le premier tiers du XIXe siècle. Il est le penseur d'une époque qui n'est pas la nôtre. Aussi bien, même en partageant ses aspirations à une société sans classes d'hommes libres et égaux, à un ordre social sans exploitation de l'homme par l'homme, on ne peut considérer Marx comme un guide scientifique suprême dans la lutte- pour l'instauration d'un ordre nouveau. * * * LA « RÉVIS!ON » du marxisme, la critique de ce qui dans- Marx ne s'accorde plus avec la réalité est depuis longtemps commencée. Dans les années 90, ce mouvement d'idées était lié au nom d'Edouard Bernstein · . . ' · BibliotecaGino Bianco -, I LE CONTRAT SOCI!iL et il était normal que plus le monde s'éloignait _d_e la première moitié du x1XC siècle, plus les 1 marxistes devaient s'écarter de Marx. On imagine difficilement aujourd'hui des gens qui, comme Plékhanov en 1896, puissent affirmer que le marxisme « est une vérité absolue qu'aucun coup du sort ne saurait remettrè en .question ». De tous les partis ouvriers d'Europe occidentale, le parti social-démocrate allemand est celui qui s'est montré le plus longtemps fidèle à Marx. Bien plus, il a fait du marxisme son idéologie de parti. Néanmoins, voici ce qu'a dit Otto Stammer dans un discours prononcé à · Trèves à l'occasion · du soixante-dixième anniversaire de la mort de ·Marx. Et ce discours ne fut pas publié n'importe où, mais dans le Neuer V orwaerts (n° 20, 1953 ), c'est-à-dire dans l'organe central du parti : « Le marxisme n'est pas pour nous un dogme comme dans le système bqlchéviste. Nous repoussons toute orthodoxie ·marxiste. Le Capital de Marx n'est pas une bible et le Manifeste communiste de 1848 n'est pas pour nous un passe-partout. Nous apprécions dans· le marxisme sa méthode, son militantisme politique et social, mais selon ·nous la doctrine de Marx doit être adaptée à l'évolution du monde, aux tâches de notre ·terrips, à la condition de la population laborieuse au XXe siècle.~ » · Certes, le ton n'est pas aussi tranchant que dans les critiques formulées plus haut, mais il - n'y a guère de divergence entre cette opinion et la nôtre. Que la doctrine de .Marx soit archaïque, qu'elle soit aujourd'hui dépassée et ne corresponde plus à notre époque, cette conviction est tout simplement exprimée par. 0. Stammer avec pl_us d'euphémisme et de « diplomatie ». . Après ces remarques, si nous en revenons au traité soviétique <l'Economie politique, c'est pour constater notre désaccord fondamental. Ce que nous considérons comme une doctrine archaïque est aux yeux des auteurs de ce -livre une vérité immuable et absolue, une vérité éclatante qu'aucun fait n'est venu infirmer : « Aucun coup du sort ne saurait la remettre en question... » Tout cela est de la fantasmago;ie,· et de la pire. Au cours des trente dernières années, la Russie, dénommée maintenant U.R.S.S., est devenue un grand pays industriel qui, par sa politique, par ses appropriations de territoires étrangers, par ses menaces· incessantes,. fait peser une angoisse mortelle sur le monde occidental. Il est évident que l'esprit de Marx

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