LE CONTRAT SOCIAL de Mao. Il a fallu mobiliser et déplacer cinquante millions de ces « gardes rouges», selon l'agence Chine nouvelle (7 janvier), pour contrebattre une « poignée» de révisionnistes, réactionnaires et capitalistes, lesquels se trouvaient aux sommets du Parti et de l'Etat depuis plus de quinze ans, sans que personne ait remarqué leur influence néfaste. Cela rappelle étrangement un hallucinant chapitre d'histoire soviétique où Staline dut constater que Lénine, dans sa géniale clairvoyance, s'était entouré exclusivement d'espions, de saboteurs, d'assassins et de« vipères lubriques». Des « vipères lubriques», ils en ont aussi en Chine (contrairement à ce que l'article de tête, dans la présente revue, dit par erreur), car un journal de Canton traite ainsi un écrivain connu, Chin Mou, « vipère lubrique du monde littéraire», dont les écrits « ont l'aspect de champignons vénéneux» (11 juin 1966). Les contradicteurs ) de Mao ne sont que « des démons déguisés en hommes, des loups vêtus de peaux de mouton» (Monde, 8 juin 1966). Certains des. principaux dirigeants du Parti et de l'Etat deviennent « chiens venimeux et rats visqueux» (Monde, 20 janvier 1967). Les aménités les plus courantes à l'adresse des opposants sont« cochons» et « têtes de chien». On reconnaît là des versions chinoises du vocabulaire en usage chez Staline lors des fameux procès de Moscou. Depuis peu (31 janvier), de Gaulle à son tour est une « tête de chien» et l'ambassade de France à Moscou reçoit une lettre collective selon laquelle « vos jours sont comptés. Tôt ou tard les peuples révolutionnaires vont écraser vos têtes de cochon. La dette de sang doit être payée par le sang.» A en croire le Monde et le Figaro, ainsi que le New York Times et la presse dans son ensemble, et les politiciens, les diplomates, les publicistes, les sinologues, les oracles et les augures de toutes sortes, tout cela c'est du marxisme. Il ne manque, à l'appui, que des références aux œuvres complètes de Marx et d'Engels. Rien ne sert de discuter avec les aveugles qui parlent des couleurs. Rappelons seulement au lecteur de bonne foi que bien des Chinois apparemment convertis au christianisme n'en conservaient pas moins leurs vieilles croyances et leurs pratiques traditionnelles. Le père de Sun Yat-sen, par exemple, soi-disant chrétien, appartenait à la Triade, société secrète bien païenne, et continuait à sacrifier aux similidieux de son village. Sun lui-même, en toute sincérité, avait composé de précel>tes évangéliques, d'idées libérales et de principes démocratiques une salade doctrinale assaisonnée de quelque phraséologie pseudo-marxiste. Son cas était moralement respectable. Mais que Biblioteca Gino Bianco 61 les petits morceaux choisis de Mao et les débordements sauvages d'une jeunesse illettrée puissent passer en Occident pour une variété de marxisme, voire pour une « révolution culturelle», aucun visionnaire du déclin intel1ectuel occidental n'avait osé le prédire. Dans l'ordre des relations internationales, on assiste à des péripéties sans précédent et que n'aurait tolérées jadis aucun Etat qui se respecte. Là encore, ce sont Staline et les siens qui avaient innové en organisant d'odieuses manifestations « spontanées» devant certaines ambassades à Moscou pour impressionner l'opinion publique. Mao et consorts ne font que copier, avec une ampleur proportionnée aux dimensions chinoises. Des millions d'esclaves fanatisés défilent ainsi, hurlant et bavant, autour de l'ambassade soviétique à Pékin dont les occupants savent ce qu'en vaut l'aune. Les manifestants, d'ailleurs, ne demandent qu'à exhaler leur xénophobie ancestrale et qu'à participer à une récréation de .masse en poussant des cris hostiles sans trop savoir pourquoi, tout disposés à s'exprimer par ordre en sens contraire. La dernière « démonstration» de ce genre, à propos de bottes, a battu les records de durée, déjà deux semaines, avec des violences inédites, lapidation de la façade, affichage d'insultes grossières, sévices contre le personnel diplomatique subalterne. Les héritiers dégénérés de Lénine subissent les avantderniers outrages sans broncher et balbutient de vagues protestations faiblardes que les eunuques de la presse européenne et américaine considèrent comme « énergiques». Les Chinois redoublent d'insolence et de provocation sans réussir à éveiller un réflexe viril chez les « révisionnistes» qui, en effet, ont révisé les notions élémentaires de dignité nationale et d'honneur révolutionnaire. Enhardis par l'impunité, ivres de leur nombre, les nazis jaunes dirigent leur bétail contre d'autres « barbares blancs», les Yougoslaves, les Hongrois, qui encaissent, et enfin contre l'ambassade de France. Motif : un échange de horions à Paris entre gardiens de la paix et jouvenceaux chinois qui se croyaient en pays conquis. Du coup de Gaulle « est ravalé, comme un simple Kossyguine, au rang de tête de chien ~u'il importe d'écraser» (A.F.P., 1er février), 1impérialisme français est « en collusion avec le révisionnisme soviétique», etc. Il faut tourner court, faute de place. On y reviendra plus en détail. D'ores et déjà, une question se pose : les têtes de linotte empressées à ne pas « ignorer» la Chine et qui avaient découvert que la Chine « existe» sont-elles satisfaites? On risque d'attendre longtemps la réponse.
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