\ CHRONIQQE En Chine : un bond en arrière ON SAIT que les parvenus et profiteurs du communisme stalinien chinois avaient qualifié de « bond en avant» une de leurs expériences économiques et sociales désastreuses qui fut saluée avec admiration par« l'Occident pourri» (rappelons que cette locution séculaire des slavophiles est d'usage courant en Russie soviétique). Ce « bond en avant» piteux et calamiteux aboutit à une régression industrielle et agricole dont la Chine se relevait à peine quand Mao entreprit de « bondir» une fois de plus et s'engagea dans l'aventure politique étiquetée « révolution culturelle». L'éliquette n'a rien d'original : elle est empruntée à la terminologie soviétique banale, mais à contresens. Par surcroît d'imitation, la formule s'amplifie en « grande révolution culturelle prolétarienne», de même que « révolution d'Octobre» a pris, des deux côtés de l'Oural, les proportions de « grande révolution prolétarienne d'Octobre». Mao ne brille donc nullement par l'imagination créatrice. Plus dérisoire que lui encore apparaît la presse bourgeoise occidentale, le Monde en tête, qui adopte d'emblée la prétendue« révolution culturelle», sans guillemets, comme quelque chose d'évident et de respectable, et qui regarde comme un « nouveau bond» en avant ce qui s'avère, en fait, comme un bond . ' en arnere. Ladite « révolution» se traduit effectivement, au nom du marxisme et du léninisme, par une réaction contre tout ce que Marx et Lénine considéraient comme le progrès humain inséparable du développement nécessaire de la société contemporaine. Sun Yat-sen, dont se réclamaient naguère encore Mao et son équipe, s'était évertué à révolutionner son pays en lui inculquant des notions essen:... tielles de la civilisation occidentale. Comme par hasard, un des premiers exploits accomplis par les jeunes trublions de la « garde rouge» devait consister en irruption domiciliaire dévastatrice chez la veuve du « Père de la révolution chinoise», pourtant ralliée sans réticence au régime actuel. Il est vrai que l'infaillible Mao revendiquait l'ascendance spirituelle de BibliotecaGino B-ianco _ Confucius jusqu'à une date récente; depuis ,. peu, depuis le 10 janvier, le Sage par excellence se voit condamné en tant que philosophe « de l'impérialisme, du révisionnisme et du féodalisme». Quel individu sain_ d'esprit aurait le .. courage de commenter pareille sottise? Le « marxisme-léninisme» chinois qui répudie tout héritage européen n'est pas de qualité meilleure. Il y a lieu ici de citer une fois de plus ce qu'à tort ou à raison Lénine a écrit des « trois sources» du marxisme, le « successeur légitime de tout ce que l'humanité a créé de meilleur au xix 0 siècle : la philosophie allemande, l'économie politique anglaise et le socialisme français». Quand Mao a le toupet d'affirmer que la Chine est « blanche comme une feuille de papier où l'on n'a pas encore écrit», où par conséquent il se propose de tracer ses idéogrammes sans idées, ses platitudes et ses lieux c9mmuns, il ne fait que plagier Staline pour qui la Russie d'avant lui n'était qu'une « place vide». Mais cela signifie que son marxisme-léninisme prend le contrepied de Marx et de Lénine en reniant « tout ce que l'humanité a créé de meilleur au xixe siècle», inconcevable sans l' œuvre des siècles antérieurs. Voilà pourtant ce que prennent au sérieux tant de politiciens et de plumitifs médiocres en Europe et en Amérique . Si jusqu'à présent le régime instauré en . Chine ,par le parti communiste et ses filiales incarnait une révolution dite socialiste, la campagne terroriste déchaînée par Mao contre son propre parti ne se peut définir autrement que comme une contre-révolution, culturelle ou non. Quant à savoir si une jeunesse inculte, munie d'une brochure rouge contenant ce qui tient lieu de « pensée» à Mao, a quelque chose de commun avec la culture, il suffit de lire au jour le jour les comptes rendus japonais des affiches chinoises pour en avoir le cœur net. La fermeture des écoles et des universités, l'incinération d'innombrables livres, la destruction d'œuvres d'art conservées chez des particuliers, telles sont déjà les principales contributions dont la culture serait redevable aux millions de galopins armés de la« pensée»
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==