QUELQUES LIVRES Dès qu'un infortuné signifiant sonnant un peu le neuf est mis en circulation, une ruée de jeunes crocs a tôt fait de le vider de sa substance. Il en devient insignifiant, au sens le plus littéral, et il n'y a plus qu'à le changer par un autre qui subira le même sort : tel était hier, dans les milieux dits « pensants », le malheur de l'existence, aujourd'hui remplacé par la structure. On n'a pas encore compris en France, ou l'on refuse désormais de comprendre, que dès qu'un mot veut tout dire, il ne veut plus rien dire. C'est sans doute en ce sens que B. Parain dit lui-même que notre pays bazarde ses églises : sous-entendu dans le titre, cela n'est pas entièrement expliqué dans le texte. Et ce qui vaut chez les « doctes » ou prétendus tels, règne a fortiori sur la place publique. Que saurions-nous faire maintenant de la démocratie puisqu'il y a des démocraties renforcées par voie de pléonasme en « démocraties populaires ». Depuis la défaite de l'Axe, tout le monde est « démocrate », fût-ce un nationalsocialiste opérant ès qualités. Et « démocratie » signifie aussi régime de parti unique ou du moins de Front national, ce que l'on commence à apprendre chez nous avec la perspective de bloquer gauche, centre et droite sur les mêmes listes électorales avec les mêmes choix obligatoires, imposés d'en haut. On despotise « démocratiquement » en faisant valoir ses lumières. On chante l'Internationale pour soutenir une « politique d'indépendance nationale ». Quelle truie s'y retrouverait ? A quelles conditions Dieu ou le Verbe consentirait-il à redescendr~ pour lui rouvrir la comprenette ? La condition serait la restitution d'un sens élémentaire du vrai et du faux qui paraît faire défaut de plus en plus, en des temps où pleut l' « informatique ». On parle aujourd'hui à tort et à travers de « sémantique », mais on semble souvent ignorer que cela concerne également le vrai et le faux. · Tout cela compose une méditation un peu bougonne, un peu rabâcheuse, mais qui pourrait bien être salutaire : les vieux instituteurs ne craignaient pas de rabâcher pour former leurs ouailles. Il s'en trouve un qui est réduit au soliloque ; comme disait ce personnage d'un film de l'entre-deux-guerres : « Je parle parce que je me parle, et si je me parle, c'est parce que je m'estime »... Brice Parain s'exprime en un style dru, direct, et son piétinement fait parfois songer à celui de Péguy. En mieux, à notre sens, parce qu'il n'erre pas d'une Eglise à l'autre et qu'il n'est pas nationaliste à tous crins et de tout bord. A. P. Biblioteca Gino Bianco 57 Vivre au grand jour V ANCE PACKARD : Une société sans dé/ ense. Traduction de E. Trêves. Paris 1965, Ed. Calmann-Lévy, 326 pp. « VIVRE au grand jour », c'était le corollaire de « vivre pour autrui ». En formulant la seconde partie de l'impératif moral positiviste, Auguste Comte ne se doutait certainement pas du genre d'application qu'on en ferait au siècle suivant le sien, lors de l'avènement de la civilisation publicitaire et strip-teaseuse. Nous avons déjà eu l'occasion de rendre co1npte des excellents travaux de sociologie concrète, à mi-chemin du grand journalis1ne et de la science sociale, de Vance Packard. Cet auteur vient de lancer un cri d'alarn1e que l'on a traduit en français par Une société sans défense. En américain, .c'était The Naked Society, que l'on serait tenté de restituer en parodiant la célèbre désignation de l'objet surréaliste de Marcel Duchamp : « La société mise à nu par ses guides, 1nême » ... Le cri d~alarme est fortement motivé par les détails horrifiques sur le genre d'inquisition auquel se livrent actuellement, aux Etats-Unis, les administrations tant publiques que privées, les unes en quête de statistiques, les autres de persécution du consommateur éventuel : l'A111éricain est pratiquement tenu de répondre à une foule de questionnaires émanant de ces deux sources, tous plus indiscrets les uns que les autres, n'épargnant ni les aptitudes vélocipédiques de la grand-mère ni l'humeur sexuelle de la petite sœur, bien entendu pas le casier judiciaire, mais pourtant tout ce que chacun préfère garder par-devers soi. Le pis est qu'administrations publiques et privées collaborent sans vergogne dans cette quête de renseignements. Tous les prétextes sont bons : examens de candidature à un emploi, bureaux d'enquête et de crédit, etc. Des commerces nouveaux naissent, tels que la vente de renseignements : « 23.000 femmes ayant fait l'acquisition d'un produit pour développer les seins, 19 dollars le mille [adresses] » (p. 1 ï8 ). Des industries nouvelles également : fabrication en série de microphones pour épier ce qui se passe à l'usine, au bureau ou dans la salle de bains. Inutile de réagir à ces détails concernant I'American way of life par l'hypocrite et vertueux : « Impossible chez nous ! » Ce n'est pas vrai. L'américanophobie officialisée chez nous se concilie fort bien avec un enthousiasme primaire pour l'imitation des pires travers de la civilisation d'autre-Atlantique
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