Le Contrat Social - anno XI - n. 1 - gen.-feb. 1967

56 rance universelle. Aussi les présumés vainqueurs o_nt-ils été encore plus déçus que les vaincus : la paix leur ôtait leur raison d'être. Après cela, il n'y avait plus qu'à verser politiquement dans le gaullisme (de gauche, bien entendu) ou dans le « sinisme » - ce qui, pour les plus astucieux, dans l'intérêt bien compris d'une candidature, est susceptible de s'harmoniser. J .-A. Penent a choisi la littérature, et puisqu'il étudie l'histoire, on espère qu'il écrira un jour quelque chose de plus complet que ce petit récit. Plus généralement, tout cela illustre le drame de l'infortunée « gauche de gauche » enfoncée dans l'irréalisme, de la conjugaison de · la maladie infantile avec la maladie sénile du communisme, de la dépolitisation consécutive aussi. Après le rêve éveillé, on se réveille dépolitisé, de ·telle façon qu'on peut se demander si cette sorte d'amusement des jeunes ou vieux enfants ne fait pas la tranquillité des gouvernements. AIMÉPATRI. Le communisme et les mots BRICEPARAIN: France, marchande d'églises. Paris 1966, Gallimard édit., 123 pp. Entretiens avec Bernard Pingaud. Paris 1966, Gallimard, 163 pp. DEPUIS DES ANNÉES,avec une belle fidélité, Brice Parain poursuit sa méditation sur deux. thèmes essentiels : le communisme et les mots. Méditation philosophique, mais sans appareil technique spécial : un sage pense à voix haute, un peu sur le ton du soliloque, et ses entretiens avec lui-même portent sur des problèmes qui nous concernent tous, indépendamment des modes et des circonstances. Un cinéaste malin a été bien avisé de produire B. Parain inopinément sur l'écran. Il ne faudrait pas croire, en effet, que s'il parle du communisme, c'est parce qu'il a été frappé par la grâce en écoutant le canon de Stalingrad. Il est allé en Russie dès 1922, avant la recon1;1aissanceofficielle et lorsque, sur place, la victoire n'était pas encore acquise. Ei:i un certain sens, il n'en est pas encore revenu. En un autre sens, s'il en est revenu, c'est bien avant les autres puisqu'il a rompu dès 1924 avec la nouvelle religion, sans attendre le rapport Khrouchtchev, ni même les procès de Moscou. D'autre part, l'attention qùè B. Parain porte aux problèmes du langage n 'à rièn à· voir avec Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL le fait que le Congrès des sociétés françaises de philosophie a fait porter ses débats sur un pareil sujet. Il n'est question, dans ses écrits, ni de « signifiant », ni de « signifié », ni de « diachronie », ni de « synchronie », ni même de « structure ». Ferdinand de Saussure ne hante pas ses nuits, mais sa· thèse complémentaire, itnprimée en 1949, portait sur le Verbe (Logos) au sens de Platon. Quel est le lien entre ces deux problèmes ? Faut-il penser qu'ils sont unis dans l'esprit de l'auteur parce qu'il a tenu à apprendre le russe avant de se rendre à Moscou ? -La coïncidence est moins fortuite. Il vaudrait mieux penser pour l'interpréter au vers de Hugo : « Car le mot c'est le verbe et le Verbe c'est Dieu. » Enfin, ce n'est pas d'aujourd'hui que nous avons appris que Dieu étant mort, il faut tenter de le ressusciter. En Russie, Brice Parain était en quête d'un nouveau Dieu. Mais le « hic » est qu'il n'en a pas rapporté le Verbe devenu soudain silencieux dans les affres du travail et de la guerre. C'est pourquoi il a voulu revenir à l'ancien Dieu, mais force lui était. de reconnaître que celui-ci était. mort effectivement, sinon en soi et pour soi, du moins pour nous dans l'état présent de notre. civili- ~ation. Tel est, croyons-nous, le cheminement d'une pensée qui paraîtra obscure seulement à ceux qui ne se soucient pas, comme B. Parain, d'approfondir l'expérience et sa significatio~ : la mort de Dieu, dont la révolution ru~se est peut-être l'épisode essentiel, entraîne la mort du langage, et la mort du langage sans doute la mort de l'homme lui-même. C'est le thème que retrouve aujourd'hui, par d'autres chemins, un jeune philosophe fort à la mode, M. Michel Foucault*. Tout se tient. Cependant, dira-t-on, quel temps fut jamais plus fertile en propos, discours, discours sans ~ repos ? A dire vrai, nous sommes plongés dans une cuitùre d'aphasiques bavards où· l'on torture les mots de toutes les façons, parce qu'étant démonétisés on ne sait plus qu'en faire. Et l'attention philosophique portée aux embarras du langage, contemporains de ceux de la circulation, découle sans doute du fait que nous ne savons plus parler. C'est le temps dè la « dialectique » sur laquelle B. Parain a fait d'excellertte,s mises au point, le vocable en étant venu à signifier juste le contraire de ce qu'il voulait dire au temps de Socrate et de Platon. • Par suite d'un lapsus, nous avons déformé (p. 363, n. 2, du précédent numéro du Contrat social) le titre du récent ouvrage de cet auteur. C'est, bien entendu, Lu Mot. et les Choses qu'il tallait lire.

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