Le Contrat Social - anno XI - n. 1 - gen.-feb. 1967

22 lective » en U.R.S.S. et chez ses satellites. La question, disent-ils, consiste à -savoir « qui se · rapprochera de l'autre ». Le Kremlin n'ayant pas la moindre intention de renoncer au régime de propriété en vigueur, une convergence ne serait donc concevable que par une évolution unilatérale du régime occidental vers le régime soviétique. Cela n'ajoute rien à ce qui est proclamé là-bas depuis l'accession des communistes au pouvoir. Pour qui ne s'hypnotise pas sur des formules creuses et préfère scruter la réalité, force est bien de constater que depuis assez longtemps déjà la propriété capitaliste, en Occident, est devenue une fiction, alors que la propriété collective, dans le monde soviétique, l'est depuis toujours. Ce n'est pas le titre attestant que l'on possède quelque chose qui compte, mais l'emploi qui en est fait. Nous partageons entièrement l'avis de Karl Kautsky, qui écrivait 4 : Le problème des classes est celui du pouvoir de disposer des moyens de production et, par là, des produits fabriqués grâce à ceux-ci... Ce n'est pas celui qui détient un bien et qui en a la garde qui en est le vrai propriétaire, mais celui qui en dispose. En Occident, chaque agent économique a quelque parchemin attestant son droit de propriété sur tel ou tel moyen de production, fonds de commerce, etc. Mais qu'il soit producteur artisanal, commerçant ou cultivateur, propriétaire individuel d'une entreprise ou propriétaire collectif (actionnaire, coopérateur ou encore, en tant que citoyen, copropriétaire des Charbonnages, de la R.A.T.P., de la S.N.C.F., e~c.), son droit direct sur « sa » propriété est on ne peut plus limité. En effet, une législation surabondante, à laquelle il est censé avoir participé en allant aux urnes, dispose de toutes ces formes de propriété bien plus largement que lui-même, et cela au nom de la souveraineté nat1onale. On cherchera en vain ce que la propriété réelle, non point celle qui est attestée · par des papiers, a encore de commun avec ce que Marx appelait la propriété capitaliste ... Peut-on en dire autant du régime de propriété en U.R.S.S. ? Donnons la parole à Jay Lovestone, directeur du département des affaires internationales de l'A.F.L.-C.I.O .. Il écrit 5 : Certains ont prétendu à tort que le·s pays communistes s'éloignent de la planification centralisée alors 4. Die materialistische Geschlchtsauffassung, t. Il, p. 15 (1929). 5. • Les·réformes sovlétlques dans leur perspective historique•, in Nouvelles du mouvement syndical libre, aodt 1966. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL que les démocraties s'en rapprochent. Et que, en conséquence, les deux camps sont en train de converger. C'est l'idée de convergence qui est fausse. Si l'on compare les économies des démocraties occidentales et celles des pays communistes totalitaires, on constate que ces dernières se distinguent par les traits suivants, caractéristiques et essentiels : 1, tous les moyens de production, sauf de petites parcelles de terre, appartiennent à l'Etat et sont gérés par lui ; 2, l'Etat est l'unique employeur et dispose en conséquence d'un énorme pouvoir sur la main-d'œuvre; 3, l'Etat n'est pas seulement l'unique employeur, mais aussi et eQ même temps le seul législateur; 4, les syndicats ne sont que les auxiliaires du Parti et de l'Etat totalitaire. Ce front du travail sert à l'Etat d'instrument de pression pour amener les travailleurs à accepter un niveau de vie qui doit toujours s'élever plus lentement que le niveau de la productivité. Quand il s'agit de faire · la comparaison entre divers régimes sociaux, les facteurs décisifs sont les différences essentielles et permanentes qu'ils présentent, plutôt que leurs ressemblances éphémères et superficielles. A cette analyse pertinente, nous n'ajouterons que quelques brèves remarques. S'il est vrai que l'Etat (ou le Parti, dont l'Etat n'est que l'instrument) dispose de tout et régit tout - y compris la force de travail - de la façon la plus discrétionnaire, il faut se deman- _der ce qu'est cet Etat. En Occident, le rôle économique de l'Etat, rôle dont nous avons souligné l'importance, traduit la volonté de l'ensemble des citoyens. L'Etat soviétique, au contraire, dont le rôle économique· est absolu, n'a à tenir compte ni des désirs de ses sujets ni des contrepoids des mécanismes économi- _ques, ceux-ci, brisés ou, paralysés, ne pouvant agir comme correctifs. L'Etat, qui s'identifie .au Parti, exécute les ordres, non point du Parti, mais des « sommets » de ce Parti, où le pouvoir de décision effectif appartient à une demidouzaine de personnes. Ces quelques hom- , mes disposent à leur guise des moyens de production, sans parler de ceux qui les mettent en œuvre. Que vaut, en face de· cette réalité, la lettre de la Constitution, suivant laquelle les moyens de production sont « propriété collective » ? ' Alors' qu'en Occident, la .propriété nominalement privée obéit de plus en plus aux impulsions collectives données par l'Etat démocratique, en U.R.S.S. la propriété nominalement collective est accaparée et usurpée par une poignée d'autocrates qui en disposent comme si elle était la leur propre. Et la réforme de Liberman n'y change absolument rien. Dans ces condit,ions, où sont les « convergence~ » que d'aucuns croient pouvoir déceler entre l'évolution du monde occidental et celle du monde communiste ? LUCIEN LAURAT.

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