202 de chenapans et de déserteurs, préparant, sous le slogan « tout le pouvoir aux soviets », la dissolution de l'Assemblée constituante et faisant régner dans tout le pays u11eatmosphère de terreur et d'arbitraire, la dictature bolchéviste ·eut tôt fait de dessiller les yeux des ouvriers et des intellectuels avancés de Pétrograd, Moscou, Toula, Sormovo et autres centres industriels. La désorganisation économique transforma la vie poli tique et sociale en chaos;_ les fabriques et les usines fermèrent leurs portes. Le chômage grandit, ainsi que la disette. Dans les villes, la famine étreignait déjà les ouvriers et les pauvres gens. La révolution d'Octobre avait à peine un mois et demi que les grandes masses ne croyaient déjà plus aux mots d'ordre et aux promesses des bolchéviks. Toute sympathie pour eux avait disparu, et la neutralité bienveillante des semaines précédentes faisait place à une opposition croissante. La dissolution de l'Assemblée constituante (et des organes d'administration locale), au début de janvier 1918, eut presque partout pour effet d'éloigner les masses ouvrières des bolchéviks et de modifier l'état d'esprit des travailleurs à leur égard. Après la conclusion du traité de BrestLitovsk, la convocation de l'Assemblée constituante redevint un mot d'ordre populaire. Le besoin d'un pouvoir d'Etat démocratique qualifié pour parler au nom du pays tout entier se fit de plus en plus sentir. Et dans les milieux ouvriers, après s'être relâchées, les sympathies pour les menchéviks et les s.-r. se ravivèrent. Grâce à l'action de ceux-ci dans les soviets et les syndicats bolchevisés et à l'influence idéologique qu'ils y exerçaient, l'opposition prit le dessus. A Pétrograd, on tenta de créer de nouvelles organisations ouvrières opposées aux soviets bolchévistes : ce furent les comités permanents de délégués de fabrique et d'usine. L'exemple de Pétrograd, accueilli avec sympathie, fut suivi dans d'autres villes et trouva sa plus haute expression dans l'idée de convoquer soit une conférence de ces délégués « sansparti », soit un congrès ouvrier. Au nom de la liberté des organisations ouvrières, au nom de l'Assemblée constituante et du rétablissement des garanties démocratiques, mots d'ordre spécifiquement ouvriers lancés par les initiateurs du mouvement, un vaste front de combat fut établi, avec la grève politique générale comme principal objectif. Ce mouvement, analogue aux greves d'octobre qui marquèrênt le point culminant de la révolution de 190.5, avait pour but de forcer le nouveau régime s·1bliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL absolutiste à· faire d'importantes concessions politiques. Reconstituons donc dans ses grandes lignes, en nous fondant sur des faits précis, l'évolution de l'état d'esprit des travailleurs russes dans la première moitié de 1918. Au DÉBUT de novembre 1917, avant même les élections à .l'Assemblée constituante, sur l'initiative du syndicat des travailleurs du Livre, le combat fut engagé pour la liberté de la presse, déjà soumise à toutes sortes de restrictions de la part du pouvoir bolchéviste. Un comité de lutte fut formé : outre le syndicat des travailleurs du Livre, y entrèrent des délégués du comité central menchéviste et du comité central socialiste-révolutionnaire, ainsi que des délégués du conseil municipal de Pétrograd. Le manifeste publié par ce comité exposait en termes concrets la situation politique : Notre pays est en pleine guerre civile (...). Des fanatiques aveugles sont en train de perdre et la révolution et la Russie (...). La liberté de la· presse est devenue le privilège d'un seul parti, le parti bolchéviste. On a retiré la parole à la révolution. C'est sous ce mot d'ordre de lutte pour la liberté de la presse qu'eut lieu également la première tentative pour galvaniser l'opinion ouvrière et socialiste et regrouper ses forces. Fin décembre, la Conférence panrusse des travailleurs du livre réunie à Moscou adopta une longue résolution sur cette question. Les deux principes suivants avaient une portée générale : 1. « En persécutant la presse, le Conseil des commissaires du peuple enlève à la nation la seule possibilité d'être informée sur les actes du pouvoir et soustrait ce dernier à tout contrôle et à toµte responsabilité » ; 2. « Le fait d'instituer un droit exclusif. à la jouissance de la liberté de la presse au profit d'un seul parti, .d'un seul groupe ou d'une seule classe empêche le peuple de développer ses connaissances et lèse les intérêts de la classe ouvrière en lutte pour le socialisme. » Adoptée à l'unanimité moins douze voix, après un débat au cours duquel Boukharine, au nom des bolchéviks, s'en prit aux leaders syndicaux Kefal, Kibrik, Bovchovski, Romanov, etc., cette résolution est importante à un double titre : non seulement elle concrétise l'opinion des travailleurs du Livre, mais elle montre que leur syndicat fut la première organisation ouvrière de Pétrograd à soutenir l'idée d'une conférence des délégués d'usine. La dissolution de l'Assemblée constituante et l'ordre de tirer sur les manifestants qui ten-
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