Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

QUELQUES UVRES Léon Emery a son public de fidèles, qui le suit dans son entreprise étrange d'être le rédacteur unique d'une revue, les Cahiers libres ( deux livres et quatre brochures chaque année, cela depuis 1951), et lui fait comme une célébrité clandestine .. On souhaiterait qu'il en ait davantage, sinon pour lui, du moins pour eux; mais sans doute n'est-ce pas à la quantité, ni au bruit, que vise cet encyclopédiste discret. Qu'un écrivain aussi fier, aussi éloigné de toute concession à la futilité, trouve et garde ces lecteurs attentifs, c'est un bon . , pomt pour notre epoque. JEAN-PAUL DELBÈGUE. Un pays en mutation CHRIS'J;'IAN RunEL : L'Espagne du plan ou la succession ouverte. Paris 1966, Editions Economie et Humanisme, les Editions ouvrières, 174 pp. Sous UN TITRE apparemment technique et quelque peu étrange - pourquoi le plan économique alors qu'il s'agit d'un changement de régime, « la succession ouverte » ? - ce livre vient à son heure pour expliquer les événements dont la péninsule ibérique est le lieu et dont les aspects paradoxaux défient la chronique quotidienne. En effet, tel jour. des prêtres manifestent et sont blessés par la police déchaînée ; tel autre, la jeunesse phalangiste présente des revendications qui signifieraient la liquidation du régime dont elle a vécu jusqu'à présent ; on voit des fils de notables franquistes fomenter la révolte dans les universités, etc. Que vient faire, dans ce tumulte toujours renouvelé où l'o~ discerne le pourrissement d'une société politique, le plan de rénovation économique établi par les fonctionnaires du Caudillo ? · La réponse est qu'indirectement, et à ses débuts inconsciemment, le plan a aidé au déclenchement d'une révolution économique dont la conséquence prévisible sera la disparition du franquisme. Après la victoire de Franco, l'Espagne, cruellement blessée, a vécu dans la torpeur de l'autarcie économique, de l'industrie arriérée, de la propriété féodale et de la misère populaire. Depuis 1958, l'ouverture à l'Europe irtdustrielle est apparue nécessaire aux générations montantes comme aux chefs d'entreprise. En même temps, l'Espagne devenait le pays du tourisme : en 1960, on dénombre 6, 1 Biblioteca Gino Bianco 247 millions de touristes rapportant 296 millions de dollars, et en 1965, 14,2 millions rapportant 1.100 millions de dollars, alors que trente ans auparavant on n'en comptait que 300.000 ... A l'origine de ce phénomène, il fallut la dévaluation de la peseta et le plan de stabilisation élaboré par l'O.E.C.E. (Organisation européenne de coopération économique). En même temps, la B.I.R.D. (Banque internationale pour la reconstruction et le développement), consultée par le gouvernement, recommandait la suppression du contrôle des prix, des taxes d'importation, la mise en sommeil de l'I.N.I. (Instituto nacional de industrias) créé en 1941, organisme d'Etat inspiré du national-socialisme, et, d'une manière générale, le retour au capitalisqie privé. En 1958, l'industrie espagnole, aux équipements usés, était à bout de souffle. En 1963, un plan quadriennal de développement était lancé, plan indicatif, laissant la plus grande liberté aux initiatives privées, et dont les prévisions assez modérées furent largement dépassées au bout d'une année. La cause en est que depuis longtemps les capitaux étrangers n'avaient cessé d'affluer, de Suisse en premier lieu, puis d'Amérique, d'Allemagne, d'Angleterre et de France (notre pays s'intéressant spécialement aux constructions immobilières). C'est ainsi que des villes « endormies » comme Burgos ou Valladolid, voire Madrid, deviennent des cités industrielles où les usines poussent comme champignons après la pluie. Jusqu'à maintenant, l'exode rural alimentait l'émigration vers les pays à hauts salaires : France, Allemagne, Suisse. De 1961 à 1964, le rythme annuel a doublé. L'argent gagné à l'étranger par les travailleurs et expédié à leurs familles contribue à la stabilité de la peseta ; mais cet avantage financier ne compense pas l'amenuisement ininterrompu de main-d'œuvre qui deviendra vite dangereux pour l'expansion industrielle. D'après des renseignements divers, il nous semble que ces derniers mois on assisterait à des retours au pays. L'industrialisation rapide de l'Espagne amplifie l'exode rural au bénéfice des villes, où trop souvent le nouveau prolétariat, faute de logements, s'entasse dans des bidonvilles. Les bas salaires ont été et restent un stimulant pour les placements du capital étranger ; ils n'en sont pas moins à la source d'un mouvement ouvrier qui, se développant, ne peut se satisfaire des syndicats « verticaux » qui sont les piliers du franquisme. La lutte pour un

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