QUELQUES LIVRES Un encyclopédiste moderne LÉON EMERY: Le Gros Animal (1 vol., 141 pp.) ; Trois poètes cosmiques ( 1 voL, 145 pp.); De Montaigne à Teilhard de Chardin via Pascal et Rousseau ( 1 vol., 144 pp.}. Editions des Cahiers libres, 3, rue MariusAudin, Lyon. LÉON EMERY - dont les lecteurs du Contrat social connaissent bien la signature - est un auteur qui trompe. Un style uni, sans barbarismes à la mode, sans rupture de ton, sans recherche du piquant, même sans notes au bas des pages ; une pensée qui se développe régulièrement, qui envisage par ordre tous les côtés d'une question et qui les considère tous de très ha:ut, saisis dans leur généralité, sous l'aspect de l'éternel ; la plus discrète et la plus solide des éruditions,. celle qui peut se dispenser de citer les auteurs à tout propos parce qu'elle s'est vraiment assimilé leur leçon : bref, un air de ne pas y toucher, et de ne pas être de son siècle, un siècle où les idées font trop bon ménage avec le jargon, l'incohérence et l'inculture. C'est pourtant son siècle qu'il observe, et rien ne lui échappe de ses nouveautés et de ses. transformations, qu'il s'agisse du genre de vie, de la pensée religieuse ou des institutions sociales et politiques. Mais en vrai classique et en pédagogue qu'il a été - on ne le saurait pas qu'on le devinerait vite - il les explique plus qu'il ne les décrit. Au reste, averti du dernier état des questions, mais avec l'élégance de négliger l'arsenal des références, et sans jamais courir après le dernier bateau. Dans les formes les plus traditionnelles qui soient (au point qu'on ferait passer aisément telle de ses pages pour du Tocqueville ou du Taine : une prose pour thème latin), L. Emery BibliotecaGino Bianco -, expose une pensée impossible à classer tant elle est libre. La connaissance de l'Antiquité, la fréquentation de Platon législateur et, on le devine, celle d'Aristote, maître de toute logique, n'excluent pas la compréhension du Moyen Age; mais le xvnf siècle et particulièrement Rousseau sont tout autant saisis et sentis de l'intérieur dans toutes leurs intentions. Le XIXe siècle, en revanche, est condamné dans ses rêves naïfs de paradis terrestre et de fin du mystère; mais, dernière surprise, le second xr siècle, celui que nous vivons, est apprécié avec sympathie; et L. Emery paraît même tenté par l'optimisme de Teilhard de Chardin. Rien du réactionnaire, et pourtant le scientisme en prend pour son grade; rien de l'adorateur du progrès, mais le dernier mot reste à l'espérance. L'unité de cette pensée n'est pas moins frappante. Ce qu'on en dit ici s'applique aussi bien à un ouvrage de pensée politique : Le Gros Animal, au titre platonicien - qu'à une histoire · de la sagesse : De Montaigne à Teilhard de Chardin - et à une étude plus proprement littéraire : Trois poètes cosmiques (Gœthe, I-Iugo et Claudel). Seul le premier regarde entièrement l'objet de notre revue.· Mais tout l'effort de L. Emery, quel qu'en soit le prétexte, est une réflexion sur l'homme, et de préférence sur l'homme social et incarné; réflexion elle-même nourrie de l'œuvre 'Î de grands intercesseurs, qu'il serait vain de vouloir énumérer, mais dont on notera qu'ils sont choisis ~lus largement que. dans la tradition universitaire française, Gœthe et Wagner étant profondément assimilés. Ces noms et cette entreprise feraient songer au premier Romain .Rolland, celui des grandes biographies intellectuelles et musicales. Mais la nuance est sensible : autant de sensibilité peut-être, mais retenue, et plus de sagesse.
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