Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

K. PAPAIOANNOU pensée et de volonté dans un corps aux mille mains et aux mille jambes, exécutant des mouvements automatiques, et, d'autre part, la coordination spontanée des actes conscients, politiques, d'une collectivité. Que peut avoir de commun la docilité bien réglée d'une classe opprimée et le soulèvement organisé d'une classe luttant pour son émancipation intégrale ? Ce n'est pas en partant de la discipline imposée par l'Etat capitaliste au prolétariat, ce n'est pas en substituant à l'autorité de la bourgeoisie celle d'un C.Omité central socialiste, ce n'est qu'en extirpant jusqu'à la dernière racine ces habitudes d'obéissance et de servilité que la classe ouvrière pourra acquérir le sens d'une discipline nouvelle, le sens de l'autodiscipline librement consentie de la social-démocratie 18 • Mais l'attaque la plus féroce vint de deux anciens compagnons de Lénine : Trotski et Plékhanov. Voici quelques citations du Rapport de la délégation sibérienne (p. 20) : L'état de siège, sur lequel Lénine insistait avec tant d'énergie, demande un « pouvoir ferme ». · La pratique de la méfiance organisée [autre formule de Lénine empruntée à... Trotski] exige une main de fer. Le système de la terreur est couronné par Robespierre. L'hégémonie de la social-démocratie dans la lutte libératrice signifiait, d'après la logique de l'état de siège, l'hégémonie de Lénine sur la social-démocratie (...). Le sort a décidé non pas la victoire du centralistne, mais celle de l'égocentrisme... Peu après, dans son article « Centralisme ou bonapartisme », Plékanov (XIII, 9) avait prophétiquement et minutieusement décrit le système de gouvernement du futur secrétaire général et génial : Imaginons un instant que le Comité central obtienne le· droit de « liquidation » qui fait l'objet de nos discussions. Voilà ce qui pourrait arriver : dans la perspective d'un prochain congrès, le C.C. « liquide » tous les éléments qui ne lui donnent pas satisfaction, installe partout ses propres créatures et, ayant rempli tous les comités de ses créatures, il se donne sans difficulté une majorité absolument obéissante au congrès. Ce congrès, composé par des créatures du C.C., clame avec enthousiasme : Hourrah ! Hourrah ! , approuve toutes les actions du C.C., aussi bien celles qui ont réussi que celles qui ont échoué, et applaudit à tous ses plans et à toutes ses initiatives. En fait, il 18. Cf. Rosa Luxembourg : Marxisme contre dictature Ed. Spartacus, pp. 19, 25, 30, 33, 22-23. . . . , . Biblioteca Gino Bianco 245 n'y aurait plus dans le parti ni majorité ni minorité, tout simplement parce que le parti aurait alors réalisé l'idéal du Grand Roi de Perse. A la même époque, dans Nos tâches politiques (p. 54), Trotski adressait à Lénine un avertissement non moins prophétique : L'organisation du parti se substituera au parti, le Comité central se substituera à l'organisation et finalement le dictateur se substituera au Comité central. Il traçait même de ce dictateur un portrait qui n'est pas sans rappeler l'image orwellienne du Big Brother : « Quelque part, tout là-haut là-haut, quelqu'un enferme quelqu'un quelque part ( ...), on étouffe quelqu'un, quelqu'un se proclame quelque chose... ». Il concluait (p. 105) : Les tâches du nouveau régime prolétarien seront si complexes qu'on ne pourra y faire face autrement que par la compétition entre des méthodes différentes de construction politique et économique, par de longues « disputes », par une lutte systématique non seulement entre le monde socialiste et le monde capitaliste, mais aussi entre plusieurs tendances à l'intérieur du socialisme, tendances qui se manifesteront nécessairement, dès que la dictature du prolétariat posera des dizaines et des centaines de nouveaux problèmes non résolus jusqu'alors. Aucune organisation « forte et autoritaire » ne pourra supprimer ces tendances et ces dissensions sous prétexte d'accélérer et de simplifier le processus, car il est trop clair qu'un prolétariat capable d'exercer sa dictature sur la société ne tolérera pas un pouvoir dictatorial sur luimême (...). On ne pourra pas résoudre ces problèmes en plaçant au-dessus du prolétariat une petite équipe d'hommes triés sur le volet ou une seule personne investie du pouvoir de liquider et de limoger... C'est bien de cette « personne » et de son « pouvoir de liquider et de limoger » qu'il s'agissait dès l'avènement du bolchévisme. « En définitive, prédisait Plékhanov en 1905, tout tournera autour d'un seul homme qui, ex providentia, réunira en lui tous les pouvoirs 19 • » Mais les voies et moyens de cette providence sont une tout autre histoire. · KosTAs PAPAIOANNOU. 19. Cité par Boris Souvarine : Staline. Aperçu historique du bolchévisme, Paris 1935, p. 67.

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