Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

244 . ,.,. léninisme représentait à ses yeux le dernier avatar des idées lassalliennes d'où résulterait une dictature occulte des doctrinaires. L'appartenance au parti ne devait pas être considérée comme ·un « titre » formel, mais devait impliquer' ·-ie droit ·d'intervenir dans ses affaires. Trotski se rangea aux côtés de Martov (pp. 248 sqq.) : ~< Je ne pense pas que l'on puisse exorciser statutairement l'opportunisme. . Je ne donne aucune sorte d'interprétation mystique des statuts. » Pour Axelrod, Lénine rêvait à la « subordination de tout le parti à quelques gardiens de la doctrine ». A quoi Lénine répondait (pp. 250 sqq.) : L'élasticité ·du parti, à une époque telle que la nôtre, ouvre incontestablement la porte à tous les éléments opportunistes, faibles et hésitants (...). Ceux qui défendent la formule de. Martov · non seulement ignorent un des plus cruels maux dont souffre notre parti, mais encore lui apportent une consécration. Ce mal est né de la difficulté, sinon de l'impossibilité (...) d'opérer chez nous une discrimination entre les bavards et les travailleurs (...). Il vaut mieux qu.e dix travailleurs ne s'appellent pas membres du parti (de vrajs travailleurs· ne courent pas après les titres) plutôt qu'un bavard ait le droit et la possibilité de le devenir (..). Notre tâche est de donner au Comité central les moyens de contrôle réel afin de préserver la solidité et la pureté de notre parti. Nous devons nous efforcer d'élever de plus en plus haut le titre de membre du _parti et sa signification... Et Martov de répliquer : . . Ce n'est un mystère pour personne qu'il ne s'agit pas de rendre le travail de l'organe central plus productif, mais uniquement de la mainmise sur le Comité central du ·parti (...). J'avais pensé que le congrès ferait cesser cet état de siège qui règne à l'intérieur du parti et reviendrait à l'état normal. Il en est tout autrement : l'état de siège. comportant des lois d'exception dirigées contre certains groupes est non seulement maintenu, mais encore renforcé (p. 331). « Oui,· le camarade Martov a· parfaitement raison », lui rétorquait Lénine (p. 332) : I Je ne ·suis nullement impressionné par l'image d'un « état de siège » avec des « lois d'exception » à l'égard de certains groupes et de certaines personnes. Non- seulement nous pouvons, mais nous devons nous déclarer en état de siège pour nous préserver des éléments flous et hésitants. Et tous nos statuts,. tout notre « centralisme » ne sont autre chose qu'un état de siège permanent contre les .sources si nombreuses de l'instabilité politique. Et pour lutter contre celle-ci, nous n'hésiteron~ pas à avoir recours aux lois particulières, dites lois d'exception ... :· Dans sa brochure La Lutte contre l'état de siège dans·· le parti ( 1904).- Martov dénonçait l'obéissance ·aveugle ·et les · moyens d'intimidation réclamés · par Lénine qu'il accusait de « bonapartisme », tandis qu'Axelrod imputait à Lénine « l'étouffement systématique de l'iriitiative personnelle » et que Martynov BjbliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES soutenait que le plan de Lénine était « copié sur l'Alliance de Bakounine-Netchaïev ». Kautsky, la plus haute autorité que reconnaissait Lénine, reprochait à celui-ci d'importer en Russie des modèles d'organisation allemands dont l'imitation irréfléchie pourrait ayoir des conséquences néfastes sur le mouvement encore embryonnaire du prolétariat russe : ce qui est une nourriture pour l'Europe, disait-il, pourrait bien être un ·poison pour la :Russie 17 • La polémique atteint son paroxysme avec l'intervention passionnée de Rosa Luxembourg, chef de l'aile révolutionnaire de la social-démocratie. Dans la nouvelle Iskra (n° 69, 1904), elle écrivait : Le plan de Lénine est celui d'un impitoyable centralisme posant comme principe d'une part, la sélection et la constitution d'un corps séparé de révolutionnair_es actifs (...); d'autre part, une discipline sévère, au nom de laquélle les centres dirigeants du parti interviennent directement dans toutes les affaires des organisations locales de celui-ci. Qu'il suffise d'indiquer que, selon la thèse de Lénine, le Comité central a, par exemple le droit d'organiser -tous les comités locaux du parti, et, par conséquent, de nommer les membres effectifs de toutes les organisations locales, de Genève à Liège et de Tomsk à Irkoutsk, d'imposer à chacune d'elles des statuts tout faits, de décider sans appel de leur dissolution et de leur reconstitution, de sorte qu'en fin de compte, le Comité central pourrait déterminer à sa guise la composition de l'instance suprême du parti, le congrès. Ainsi le Comité central est l'unique noyau actif du parti, et tous les autres groupements ne sont que ses organes exécutifs. . L'ultra-cèntralisme léniniste·, -~ontinuait-elle, relève « non point d'un esprit positif et créateur, mais de l'esprit stérile du veilleur de nuit. Tout son souci tend à. contrôler l'activité du parti, et non à la 'féconder ; à rétrécir ·le mou~ vement plutôt qu'à le développer ; à le juguler; non à l'unifier. » Dans son « désir craintif d'éta-- blir la tutelle d'un Comité central omniscient et omnipotent » pour préserver. le mouvement ouvrier du prétendu « opportunisme » des intel- . lectuels, Lénine propose un remède qui est pire que le mal qu'il est censé combattre, car « rien ne pourrait plus sûrement asservir le mouvement ouvrier encore si jeune à une élite intellectuelle, assoiffée de pouvoir, que cette cuirasse bureaucratique où on rimmobilise pour en_fair~ l'automate _manœuvrépar un comité » ... Enfin, la discipline qu'exalte Lénine dans sa· glorification de l' « école de la fabrique » · . . , . . . .. . . , . e~t _inculquée au prolétariat n9p_s~ul~mënt__ pàr. l'qs_ine, mais encore par la caserne et par le bureaucratisme . àcttiel, bref, par tout le mécanisme de l'Etat bourgeois centralisé. C'est abuser des mots et s'abuser que de désigner par le même terme de « disèipline » deux notions_ aussi diff~rentes que, d'une. part, l'absence de 17. Article dans l'l&kta, n° 66; 15· mai 1904.

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