Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

K. PAPAIOANNOU internationale des travailleurs. Le simple sentiment de la solidarité, tel qu'il résulte de l'identité de la situation de classe, suffit pour créer et maintenir l'existence d'un parti unique englobant les ouvriers de tous les pays et de toutes les langues 1 ... Si, dans sa lettre à Bolte, Marx semble suspect de déviation « économiste », Engels, lui, fait figure de « liquidateur »... Lénine a fondé le bolchévisme sur le principe du sectarisme explicitement formulé dans t éditorial •du premier numéro de l'Iskra : « Avant de nous unir et afin de nous unir, nous devons d'abord résolument et nettement nous différencier. » Tout autre était l'attitude d'Engels lorsqu'il dénonçait le « dogmatisme » des marxistes germano-américains qui, sous couleur de préserver la « pureté . de la théorie révolutionnaire », refusaient de s'unir avec les disciples d'Henry George, les Knights of Labor, les syndicalistes et « les autres » : « Il n'y a pas de meilleur chemin vers la claire intelligence théorique. que de s'instruire par ses propres erreurs », écrivait Engels à Florence Kelley (28 décembre 1886 ). « L'important, c'est de faire que la classe ouvrière agisse en tant que classe. Cela obtenu, elle trouvera bientôt la bonne direction ( ...). Un million ou deux de . ~ . ' voix ouvrieres pour un parti ouvrier de bonne foi vaut infinim~nt plus que cent mille voix p~ur une plate-forme doctrinalement parfaite. » Il est caractéristique que la citation qui orne la page de garde de Que faire ? soit un texte non de Marx ou d 'Engels mais de Lassalle : « Les luttes de parti donnent force et vitalité à un parti ( ...). Un parti devient plus fort en s'épurant lui-même. » Pas un seul instant Lénine, qui pourtant aimait à se référer à l'exemple germanique, ne semble soupçonner combien différente fut en réalité l'unification des lassalliens et des marxistes en Allemagne ; pas un instant il ne semble prendre en considération que le « parti » qu'il se proposait d' « unifier » par des épurations était encore inexistant ; pas un instant il ne semble penser que la discipline tant vantée de la socialdémocratie allemande pouvait signifier exactement le contraire de l' « orthodoxie » révolutionnaire qu'il lui imputait dans sa fureur antirévisionniste. cc Discipline allemande » PouR LÉNINE, l'autoritarisme des dirigeants et la discipline de la base étaient les indices les plus sûrs de la pureté révolutionnaire de 1. Engels : ll l1tolre de la Ligue dea communillea, ln Walœ, XXI, 223 Biblioteca Gino Bianco 237 l'organisation. C'est pourquoi il tenait la social-démocratie allemande pour un n;iodèle et traitait de « démagogues » tous ceux qui, depuis Wolfgang Heine jusqu'à Jaurès et Rosa ·Luxembourg, critiquaient ses méthodes autoritaires et bureaucratiques et défendaient le principe de la liberté intellectuelle et de l'autonomie organisationnelle à l'intérieur du parti. Regardez, dit. Lénine, « comme cette foule de millions d'hommes sait apprécier la " dizaine " de ses chefs politiques éprouvés » : Les Allemands accu.eillaient par un sourire de mépris ces tentatives démagogiques d'opposer aux « meneurs » la « foule », d'attiser en cette dernière les mauvais instincts, les instincts de vanité, et d'enlever au mouvement sa solidité et sa stabilité en ruinant la confiance de la masse [envers ses chefs]. Les Allemands sont assez développés politiquement, ils ont suffisamment amassé d'expérience politique pour comprendre que, sans une · « dizaine » de chefs capables (les esprits capables ne surgissent pas par ,~entai~es), éprouvés, professionnellement préparés et mstr:tuts par un long apprentissage, parfaitement d'accord entre eux (sic), aucune classe de la société moderne ne peut mener résolument la lutte. Les Allen_iands ont eu, eux aussi, leurs démagogues, qui flattaient la masse ( ...) et semaient la méfiance à l'égard des chefs fermes et résolus. Et c'est seulement grâce à une lutte implacable, opiniâtre, contre les éléments démagogiques de tout genre et de tout ordre au sein du socialisme, que le socialisme allemand a tant grandi et s'est fortifié (V, 473 ). En devenant l'allié des « bonzes » de la social-démocratie contre les « démagogues de tout genre et de tout ordre », Lénine oubliait de signaler que le premier de ces « démagogues » avait été Engels lui-même. Si Marx avait eu juste le temps de nous avertir : « J'ai semé des dragons et je n'ai récolté que des puces », Engels avait eu, lui, le loisir d'étudier de près les tares bureaucratiques que dénonçaient les « démagogues » dont parle Lénine. Dès 1880, il avait pressenti les dangers que créait la croissance démesurée de l'appareil du parti : « Plus l'organisation est lâche (!oser), plus le parti est fort », écrivait-il à Johann Philip Becker, le 1er avril 1880. Bien avant Michels, il avait not~ le penchant à la subordination que cultivait la bureaucratisation de l'appareil : « Que les gens cessent une fois pour toutes, écrivait-il à Kautsky, de mettre toujours des gants en parlant aux fonctionnaires du parti, - leurs propres serviteurs ! Qu'ils renoncent à cette attitude soumise qu'ils adoptent devant eux, comme s'ils avaient affaire à des bureaucrates infaillibles l Qu 'ils les critiquent ! Cela est nécessaire aussi 2 • » 2. Lettre à l{arl Kautsky, 11 révrier 1801. Cf. Aus der Fralaull de, J\,far:damus. Brle(wechstl mit Karl Kautsku, Prague 1935, p. 271.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==