Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

YYES LÉYY régime constitutionnel-pluraliste bien structuré entretient parmi les citoyens « les qualités nécessaires pour faire vivre un régime de liberté » (C, 179), de sorte que la chute d'un régime constitutionnel-pluraliste ne vient pa~ de la corruption des citoyens, mais que celle-ci est le produit d'un mauvais fonctionnement des institutions. C'est d'ailleurs un très ancien problème de la philosophie politique que de savoir si ce sont les bonnes mœurs qui font les bonnes lois, ou les bonnes lois qui font les bons citoyens. Machiavel et ses adeptes tiennent pour la seconde hypothèse. Dirons-nous que Raymond Aron est pour la première ? Certes. Mais il faut pourtant noter qu'il ne laisse pas, sur ce point, d'exprimer une réserve. Il remarque en effet (C, 181) que lorsque « l'attitude intellectuelle et morale nécessaire au régime s'est évanouie » chez les citoyens, il y a là « une corruption du principe » qui « n.'a rien à voir, ou n'a pas grand-chose à voir, avec une· démoralisatio.o au sens où les moralistes emploieraient cette expression ( ...). Il s'agit d'une corruption proprement politique dont les causes peuvent être liées au système lui-même. » On peut regretter que l'auteur ne discerne qu'un cas particulier dans ce qui, aux veux des machiavéliens, passerait pour une ~xcellente illustration de la règle générale. Et que ce ne soit pour lui qu'un cas particulier, on n'en peut guère douter lorsqu'on le voit refuser toute nécessité au régime constitutionnel-pluraliste. Ce régime, écrit-il (D, 85), est « artificiel ». Et plus loin (D, 105) : « Les Anglo-Américains et, à leur suite, les Européens maintiennent élections et représentation comme une part de leur héritage, non comme une nécessité de la société actuelle. » On voit, dans ces derniers mots, reparaître l'idée qu'un ' Biblioteca Gino Bianco 235 régime politique nécessaire serait celui qui dériverait nécessairement de la structure économique et sociale. ·Or comment la chose serait-elle possible, puisque Raymond A!on a précisément démontré que la société industrielle est gouvernée soit selon le mode totalitaire, soit selon le mode démocratique ? L'auteur semble souvent admettre que le régime constitutionnel-pluraliste souffre d'une contingence congénitale, et c'est d'ailleurs ce que signifie le commencement de la phrase qu'on vient de citer : la démocratie parlementaire ne serait qu'un héritage. Cela n'est guère vraisemblable, car on ne voit point d'héritiers conserver leur héritage s'ils ne sont pas aptes à le faire fructifier. Et d'autre part, il est tout à fait certain que la société industrielle n'engendre pas nécessairement le totalitarisme, puisque les régimes totalitaires ne gouvernent qu'une partie des sociétés industrielles, et d'ailleurs ne sont affranchis ni des difficultés politiques ni des difficultés économiques. Bref, s'il n'y a point de nécessité dans les institutions politiques; elles ne peuvent être objet de science. Et s'il y a nécessité, ce ne peut être parce qu'elle,s sera~ent une p1;1re résultante de l'univers econom1que et social. Il faut sur ce point, opposer Raymond Aron ' 1 , à Raymond Aron, et lui rappe er qu ayant ruiné la relation établie par Marx entre infrastructure et superstructure, il doit consentir aux institutions politiques une autonomie qui est trop souvent méconnue. Méconnue depuis Marx? Non. Depuis Montesquieu. Il a écrit que les lois dérivent de la nature des choses. Or, en politique, ce sont les choses, souvent, qui dérivent de la nature des lois. YVES LÉVY.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==