Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

224 Historiens-censeurs LES NOUVEAUX ARRIVANTS découvrirent à Li Kia qu'il était urgent _que les masses paysannes, « créatrices de l'histoire », se cultivent l'esprit. Ils furent également bien aise d'apprendre, nous dit-on, que les paysans aimaient l'histoire. En fait, ceux-ci avaient leurs propres conteurs favoris qui racontaient les événements passés à des auditoires extasiés. Si certaines de ces histoires semblaient convenir aux vues du régime, d'autres furent considérées comme trahissant des influences et des déformations d'origine féoqale parfaitement indésirables. Pour faire cesser ce scandale, les historiens donnèrent une série de causeries sur l'histoire moderne et contemporaine, puis ils distribuèrent des livres rédigés dans l'esprit qui convient. Ce fut là, ont rapporté les visiteurs, le véritable bénéfice de la campagne. Si la science historique du marxisme-léninisme n'adoptait pas une position de lutte dans les villages, proclamèrent-ils, l'esprit des paysans continuerait d'être corrompu par des influences « capitalistes » et « féodales ». L'accent était mis sur la nécessité d'enseigner aux masses le rôle du parti communiste dans la conduite de la lutte contre les ennemis de classe abhorrés et dans la transformation de la société. Il fut également décidé que l'histoire avait besoin d'être popularisée aussi bien qu 'épurée à l'usage des paysans. Par exemple, les historiens avaient fait circuler dans le village un manuel jouissant d'une grande faveur afin de déterminer quelle serait la réaction paysanne et de mettre au point les révisions à y apporter. Si les lecteurs, d'après les rapports, accueillirent favorablement le livre, celui-ci fut également l'objet de nombreuses critiques. Il était" trop sec et manquait d'intérêt : telle fut en général la première réaction. De tels ouvrages devraient être rédigés en un style plus vivant. Deuxièmement, le vocabulaire était difficile et restait étranger à des lecteurs peu instruits. Il y aurait donc intérêt à employer le ton familier de la conversation. Troisièmement, nombre. de personnages et de faits figurant dans l'histoire « populaire » étaient peu familiers aux paysans. Il serait donc préférable de mettre en scène • plus de héros locaux. Tout cela s'accorde, bien entendu, avec les consignes de Mao recommandant de calquer la propagande sur les besoins particuliers du public visé : Les communistes qui veulent réellement se livrer à une œuvre de propagande doivent se demander quel sera leur auditoire et songer à ceux qui doivent lire (?'ï-bliotecGairJOBianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE leurs éçrits, écouter leurs causeries ; sinon, il vaut mieux qu'ils se résignent à n'être ni lus ni écoutés par personne 23 • En principe, cette expérience n'est pas à sens unique. Si le peuple en tire un bénéfice, on escompte que les historiens en profiteront aussi. En ·quittant leurs salles de cours et en se mêlant aux masses, faisait ressortir le Quotidien du peuple, les historiens peuvent entrer profondément dans la· réalité, se joindre à la lutte, parfaire leur jugement sur les sentiments du prolétariat et combiner théorie et pratique 24 • Suivant le Parti, une mine très riche de matériaux - en grande partie produit de l'expérience des travailleurs - se trouve ainsi à la portée des historiens et leur permettra d'élever le niveau de la science par de grands ouvrages d'histoire contemporaine. Perspectives QUELS SONT LES RÉSULTATS véritables de toute cette activité ? Certaines statistiques disponibles ont été indiquées plus haut; qu'en est-il des travaux eux-mêmes ? Il faudra peut-être plusieurs années avant qu'un jugement définitif puisse être porté. Dans la mesure où des historiens authentiques seront capables de tirer des faits de cette immense accumulation de paroles, ils pourront sauver certains matériaux_ d'une réelle valeur historique. Malheureusement, peu de travaux acceptables émergeront vraisemblablement d'une méthode de criblage qui fait appel aux cadres détenant une « position idéologique élevée » et aux différents échelons du Parti. Beaucoup de matériaux qui sont susceptibles d'avoir de la valeur semblent. destinés à rester enterrés dans les archives de village et autres services, après· avoir été rejetés comme politiquement insuffisants. Cela soulève la question des manuscrits non publiés. Même parmi les _travaux d'une haute teneur politique qui sont retenus, il se peut que certaines informations présentant une valeur historique puissent fortuitement surgir. D'évidence, il sera cependant très difficile de déterminer cette valeur. Il y aura peu de garantie que le témoignage ait été volontairement, honnêtement, fourni ou transcrit ; il poµrra avoir été formulé uniquement pour plaire au responsable qui l'aura sollicité. Que l'on recourre à des choix aussi foncièrement par23. Mao Tsé-toung : • Combattez la tentative à huit faces du Parti •, in Œuvres choisies. 24. • Soyez juges ... •• Quotidien du peuple.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==