B. IŒRBLAY Quelles ont été les causes plus immédiates des difficultés agricoles de 1959 à aujourd'hu~? La réforme de 19 5 8 a eu pour effet d'unifier les différents prix d'achat à la production pour un même produit. Les nouveaux prix ont été relevés, mais cette réforme de 1958 s'est accompagnée de la fusion des kolkhozes et des M.T.S. ; c'est-à-dire que l'Etat n'a pas augmenté ses paiements à l'agriculture : il a viré les crédits qui étaient alloués jusque-là à l'entretien des M.T .S. au chapitre du ministère de la Collecte pour couvrir l'accroissement des prix agricoles. De sorte que la trésorerie des kolkhozes s'est trouvée dans l'obligation de prendre en charge non seulement les frais d'entretien des M.T.S., mais encore de rembourser la valeur du matériel ainsi obtenu. Cela explique qu·,après la période favorable de 19 54 à 19 5 8, les finances des kolkhozes se trouveront dans une situation difficile, avec des coûts de production considérablement augmentés. En particulier, le coût des produits d'élevage s'est accru dans une proportion ~elle que les prix agricoles fixés en 1958 n'étaient plus rémunérateurs : plus le kolkhoze livrait à l'Etat, plus il s'endettait, ce qui est évidemment l'inverse d'un stimulant. En ce qui concerne les salaires, après une progression très rapide de la valeur du troudodien dans les années 1954-58, les dirigeants se sont aperçu que les salaires réels de l'agriculture ont augmenté trop rapidement, ce quî freinait l'exode rural et quelquefois -même provoquait des· .mouvements en sens inverse (on a noté dans certaines régions un retour des ouvriers aux champs). En 1958, des instructions ont été données pour que les salaires dans les kolkhozes· ne dépassent en aucun cas ceux des sovkhozes. Grosso modo, les salaires moyens - la valeur du « jour-travail » dans les kolkhozes - se situent à 60 % du salaire moyen dans les sovkhozes (ce dernier pouvait être considéré comme correspondant à l'échelle minimum dans l'industrie). Par conséquent, on a bloqué la progression des rémunérations agricoles pour ne pas arrêter 1'exode rural dans une période où l'économie _éprouvait de graves difficultés de main-d'œuvre. C'est dans ces années 1958-62 que l'Union soviétique ~ subi les conséquences démographiques de la chute des naissances des années de guerre : l'agriculture a fourni près de 3 millions de travailleurs aux autres branches. On aurait pu compenser la diminution des salaires agricoles en accordant de plus grandes facilités à l'agriculture privée ; mais au contraire, à partir de 19.57, la politique soviétique Biblioteca Gino Bianco 215 s'est retournée, les pressions sur le secteur privé ont repris. L'importance du lopin individuel du paysan est devenue, à partir de 1956, proportionnelle au travail fourni, c'està-dire révisable (certains juristes soviétiques proposent même que cette révision ait lieu chaque trimestre en fonction du travail de l'intéressé pendant le cours du trimestre). Dans la région de Moscou, en 1962, il n'y avait plus de lopins supérieurs à 1.500 m2, c'est-à-dire au tiers de la norme autorisée par le statut. Le cheptel privé n'a pas diminué beaucoup dans les campagnes ; il a été simplement interdit dans les villes. Beaucoup d'ouvriers et d'employés possédaient un petit cheptel; on leur a enlevé ce droit en 1959 quand on s'est aperçu que la consommation de pain dans les villes augmentait à un rythme beauco1Jp plus rapide que celui de l'accroissement de la population urbaine. Tous ceux qui ont voyagé en Union soviétique gardent le souvenir du spectacle des gares des grandes villes encombrées de paysans emportant d'énormes provisions de pain : les boulangeries réalisaient très rapi- ' dement leur plan de vente et cela a inquiété ' sérieusement les autorités qui ne voulaient pas augmenter le prix du pain. Par ailleurs, des restrictions ont été apportées à l'activité du marché libre ; dans beaucoup de régions, comme dans celle de Moscou, les paysans ont été obligés de livrer leur lait à des centres de collecte (on ne trouve p]us de vendeurs de lait individuels sur le marché de Moscou) ; on a également interdit, ou plutôt limité, les déplacements des kolkhoziens sur des marchés extérieurs à leur province (les Géorgiens n'avaient plus le droit d'aller vendre leurs fruits hors de la Géorgie) ; on a aussi essayé d'imposer des « prix-plafond » sur les marchés en affichant des mercuriales dont les prix étaient calqués sur les barèmes des magasins d'Etat plus une majoration autorisée de 50 % seulement sur les prix officiels. Il faut reconnaître que ces mesures restrictives ont entraîné de très grandes difficultés dans les villes qui dépendaient essentiellement des marchés pour leurs approvisionnements. (Le ravitaillement centralisé ne concerne que quelques grands centres industriels ; même une ville comme Odessa recevait jusqu'à ces dernières années 40 % de sa consommation alimentaire par l'intermédiaire de ses marchés kolkhoziens ; à plus forte raison, •dans les petites villes, si l'on touche au marché kolkhozien, on ne touche pas seulement au niveau de vie du paysan, mais également à celui des habitants de ces villes.) Autre conséquence
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