Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

G. ARONSON C'est alors que les bolchéviks réagirent. La voix indépendante des assemblées de délégués d'usine n'était plus tolérable sous le régime d'Octobre. Interdite, la grève du 2 juillet n'eut pas lieu. Le mouvement, saigné à blanc par la répression, la famine et le chômage, déclina. A vrai dire, la vague d'opposition reflua non seulement à cause de la terreur bolchéviste, mais aussi en raison du tiédissement des forces morales des individus. Opprimée, dispersée, privée de toute liberté, la classe ouvrière ne voyait plus d'issue. Quand les bolchéviks, revenus de leur affolement et résolus à mettre fin à toute manifestation d' « ouvriérisme », se furent ressaisis, l'opposition ouvrière et socialiste ne put leur arracher ni concessions ni réformes. •*• A PRÈS LE TRANSFERT du gouvernement à Moscou, tous les autres « centres » de la vie politique et sociale qui restaient encore debout, du moins en apparence, y furent peu à peu transférés, en premier lieu, les comités centraux des partis socialistes, la presse et les organismes syndicaux. L'activité politique· de Pétrograd n'allait pas tarder à être presque entièrement réduite à néant, alors qu'à Moscou elle était au contraire en plein « essor », pour autant que ce mot ait eu encore un sens à l'époque. Mais le mouvement des délégués d'usine ne commença à Moscou que plus tard et uniquement sur l'initiative de la conférence des délégués de Pétrograd. La première délégation de Pétrograd, composée de Borissenko (fabrique de tuyaux en fibrociment) et Rosenstein (Poutilov ), se rendit à Moscou au début d'avril. Les deux hommes prirent la parole dans les usines où ils furent accueillis avec sympathie. La deuxième délégation, nommée dans la seconde quinzaine de mai, comprenait Kononov (arsenal), Zemnitski (Riéchkine), Borissenko (déjà nommé), Séménov (Ericson), Panine (Siemens-Schuckert), Gribovski (manufacture de papier à cigarettes), Kouznetsov, Khrobostov, Krakovski (usine de Sestroriesk), Kouzmine (usine Oboukhov ). Elle fit du bon travail. En mai et juin, les ouvriers de Moscou manifestèrent à leur tour des sentiments antibolchévistes. Des meetings de protestation eurent lieu, notamment dans les usines Bogatyr, Gustave List, Gratchev, Bromley, dans les dépôts de chemins de fer des gares de Kazan et d'Alexandrovsk, dans les grande~ imprimeries. Moins visible, mais passablement actif, le mouvement gagna les ateliers de Sokolniki et le dépôt de Biblioteca Gino Bianco 207 tramways du faubourg Minoussine, la manufacture du faubourg Séménov, etc. Le mandat confié à la délégation de Pétrograd pour être communiqué aux ouvriers de Moscou sous forme de tract comportait une véhémente protestation contre le traité de Brest-Litovsk, la dissolution de l'Assemblée constituante, la guerre civile et la terreur : Le pouvoir qui se couvre de notre nom est notre ennemi. C'est un pouvoir contre le peuple, il ne nous a apporté que la souffrance et le déshonneur. Qu'il s'en aille ! Le rapport de la délégation à la conférence des délégués d'usine de Pétrograd, publié dans les journaux, présente un intérêt exception1;1el: La situation que nous avons trouvée à Moscou a beaucoup de traits communs avec celle de Pétrograd (...). Les soviets, coupés des masses ouvrières, sont transformés en instruments d'une politique antiouvrière et antirévolutionnaire (...). L'état de siège règne en permanence. Des dizaines de journaux sont interdits. Des travailleurs sont emprisonnés. La Sûreté d'Etat est autorisée à fusiller sans jugement et elle fait un large usage de ce droit ( ...). Dans plusieurs usines, nous avons été l'objet de véritables ovations et partout nous avons trouvé l'accueil le plus sympathique (Diélo naroda [la Cause du peuple], 19 juin 1918). Ayant appris l'arrivée de la délégation de Pétrograd, les ouvriers de la région moscovite "et d'autres provinces plus lointaines envoyèrent des délégués à Moscou. Il y eut des délégués des usines de Briansk et de Maltsev (provinces de Kalouga et d'Orel) et une délégation des usines de Kolomna. On attendait des délégations de Sormovo (où le 9 juillet les autorités locales interdirent, comme « contre-révolutionnaire », une conférence ouvrière) et de Toula. D'accord avec les ouvriers des usines Bogatyr, Bromley et du dépôt de chemin de fer de la gare d' Alexandrovsk, la délégation de Pétrograd convoqua à Moscou une assemblée des délégués d'usine désignés sur les lieux du travail. A ce moment, les bolchéviks décidèrent de mettre un terme à l'action « factieuse » des délégués de Pétrograd. Les agents du pouvoir sabotèrent les assemblées d'usine et s'opposèrent au vote du mandat que les délégués de Pétrograd étaient chargés de faire approuver. Avec le concours des comités d'usine, organes du pouvoir dans les entreprises, les agents bolchévistes interdirent les assemblées ouvrières. Les soviets de la région de Moscou firent de même. La presse bolchéviste se mit à traiter les délégués de « commis-voyageurs des socialtraîtres », d' « agents du bloc des ;aunes et des noirs » [ socialistes et anarchistes]. Passant à ,

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