206 perquisition exceptée, le mouvement des délégués d'usine se développait légalement à Pétrograd et dans le reste de la Russie. Les assemblées se tenaient ouvertement, les convocations et les comptes rendus étaient publiés dans la presse. Parfois, les organisations ouvrières bolchévistes furent amenées à participer aux assemblées. Alors que le mouvement touchait déjà à sa fin, le bureau d'organisation de la conférence panrusse des délégués d'usine invita même les bolchéviks à envoyer leurs délégués. Dès mai, cependant, les autorités étaient visiblement à bout de patience. Zinoviev décida de se servir du soviet de Pétrograd pour interdire les réunions. Aussitôt une campagne d'agitation contre le soviet commença dans les usines. L'assemblée du 23 mai vota une motion de protestation : Comme tous les pouvoirs minoritaires, le pouvoir soviétique s'appuie sur les baïonnettes et toute organisation démocratique est pour lui un ennemi. Nous, délégués des ouvriers de Pétrograd, considérons les libertés syndicales comme inséparables des droits du peuple et comme l'une des plus précieuses conquêtes de la révolution. Nous déclarons que nous défendrons ces libertés par tous les moyens en notre pouvoir et nous irons jusqu'à organiser une grève politique générale (Viétcher [le Soir], 24 mai 1918). Dès l'assemblée du 1er juin, la grève se posa avec plus d'urgence, car l'aggravation de la situation dans le pays, l'ampleur croissante de la terreur, les exécutions qui se multipliaient provoquaient de violentes réactions chez les délégués de Pétrograd. Voici le texte de la motion votée par ceux-ci : Après avoir entendu le rapport des délégués d'usine de Pétrograd, l'assemblée constate avec satisfaction que les masses s'éloignent de plus en plus du pouvoir qui s'intitule faussement ouvrier. Elle salue la détermination des travailleurs prêts à répondre à l'appel lancé par les délégués d'usine en faveur de la grève politique générale. Elle convie tous les travailleurs de Pétrograd à préparer activement les masses ouvrières à la grève contre le régime actuel qui, au nom de la classe ouvrière, fusille, jette en prison les travailleurs et étouffe la liberté d'expression, la liberté de la presse, les libertés syndicales, y compris le droit de grève, comme il a étouffé la représentation populaire. Cette grève aura pour mots d'ordre : « Transmission du pouvoir à l'Assemblée constituante, rétablissement des organes administratifs locaux, lutte pour l'unité et l'indépendance de la République panrusse. » Repoussant les actes individuels, l'assemblée invite les travailleurs à se grouper autour d'elle, en tant qu'unique organisme élu des ouvriers de Pétrograd, qualifié pour parler au nom des prolétaires de la capitale du Nord ( Outro, 3 juin 1918). En juin, l'idée de la grève politique générale se concrétisa. Ce devait être une grève de - protestation de vingt-quatre heures étendue à Biblioteca Gi.no Bianco LE CONTRAT SOCIAL toute la Russie; elle fut décidée pour le 2 juillet. A l'assemblée du 26 juin, il fut question de l'état d'esprit des travailleurs. Malgré. le ralentissement de l'agitation dû. au chômage et à la famine, en dépit des menaces de répression proférées par les bolchéviks, les usines - Poutilov, · Riéchkine, Westinghouse, Sémiannikov, Kolpino, Siemens-Schuckert, le nouvel arsenal, les manufactures de cartonnage, de cartouches, etc., en un mot, les principales entreprises industrielles de Pétrograd récla- . maient la convocation d'une conférence des délégués d'usine et se tenaient prêtes à se joindre à la grève. L'usine Oboukhov s'était déjà mise en grève en raison de sa fermeture prochaine. La motion, votée par l'assemblée à l'unanimité moins quatre abstentions, était rédigée en termes très énergiques : Les crimes du pouvoir soviétique continuent. Les prisons sont bondées. La liberté syndicale est morte, tuée par les bolchéviks qui, aux grèves, répondent par le lock-out. Les travailleurs d'un certain nombre de villes sont' déjà en lutte contre la terreur politique. Se taire plus longtemps n'est pas possible. Ayant examiné la situation intenable dans laquelle se trouvent le prolétariat et tout le pays, l'assemblée des délégués de fabrique et d'usine décide d'appeler tous les travailleurs de Pétrograd à déclencher une grève de protestation de vingt-quatre heures (Iskra, 27 juin 1918). Le bruit de la grève courait déjà à Moscou où, à la même heure, se déroulaient les préparatifs pour la conférence panrusse des délégués d'usine. A Pétrograd, les délégués furent désignés au grand jour. Quant à la province, des informations reçues de Rybinsk,· Iaroslavl, Toula, Sormovo, etc., annonçaient que des mesures étaient prises en vue de la grève. La dernière assemblée des délégués de Pétrograd sur laquelle nous possédons des renseignements eut lieu le 29 juin. Elle vota la motion suivante : · ' La famine nous tient à la gorge. Le chômage resserre son étreinte. Nos. enfants tombent d'inanition. Nos organisations sont anéanties .. Le droit de grève est aboli. Et quand nous essayons de faire entendre notre voix, on tire sur nous ou l'on nous jette à la rue, comme nos camarades de l'usine Oboukhov. La R-µssie est redevenue une prison tsariste. Le pays est livré à ses ennemis qui ouvrent le feu sur lui et le dépouillent. Nous ne pouvons plus endurer cette vie ( ...). Délégués des fabriques et usines de Pétrograd, nous vous appelons à la grève politique de vingt-quatre heures. La grève du 2 juillet montrera que, comme naguère sous le tsarisme, les travailleurs luttent pour le pouvoir du peuple, pour les libertés civiques, pour une République indépendante une et indivisible. A bas la peine de mort ! Vive l'Assemblée constituante ! Vive la liberté d'expression . et les libertés syndicales ! Vive le ·droit de grève ! Vive la grève du 2 juillet ! (Viétcher, 30 juin 1918).
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