Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

G. ARONSON . · A CETTE ÉPOQUE, alors que l'effervescence était à son comble parmi les prolétaires de Pétrograd, les bolchéviks se trouvaient pour ainsi dire coupés des faubourgs ouvriers. Il leur était impossible de se faire entendre dans les meetings d'usine. A l'usine Sémiannikov, Maria Spiridonova elle-même (s.-r. de gauche:) ne put obtenir la parole. On la refusa également à Evdokimov, à Zaloutski et .autres leaders bolchévistes. De hauts dignataires du Parti comme Zinoviev ne· se risquaient plus dans les assemblées ouvrières, du moins sans garanties sur l'accueil qui les attendait. Or, dès février, la vie battait son plein dans les assemblées de délégués d'usine qui. venaient de s'ouvrir et qui, en mars, allaient concentrer sur elles l'attention de la population active de Pétrograd. Les motions votées dans ces assemblées contenaient toutes des revendications politiques majeures : fin de la terreur, rétablissement des libertés, convocation de l'Assemblée . constituante. A Cronstadt, hier encore citadelle du bolchévisme, après la mobilisation de la flotte et l'exécution de l'amiral Chtchastny (qui souleva d'indignation la Russie tout entière), les marins eux-mêmes se joignirent au mouvement d'opposition des ouvriers de Pétrograd. Dans les motions de protestation votées à Cronstadt, les bolchéviks s'en~endaient déjà demander : « Pourquoi faites-vous couler le sang? Pourquoi avezvous dissous l'Assemblée constituante ? » Nous avons consulté onze comptes rendus d'assemblées · de délégués d'usine : ·üne tenue en mars, quatre en avril, trois en mai et trois en juin. A la première de ces assemblées (27 mars) assistaient 170 délégués de 56 entreprises industrielles. Les rapporteurs M. Kefal, A. Smirnov et Glébov (S. Goloub) firent une analyse pénétrante de la politique des bolchévilcs à l'égard de la classe ouvrière et protestèrent contre la guerre civile et la terreur déclenchées par ceux-ci. Aux dernières assemblées (26 et 29 juin), les motions votées appelaient à une grève politique générale contre le régime bolchéviste sous le mot d'ordre : tout le pouvoir à l'Assemblée constituante. Ainsi, en quelqùes mois, le mouvement était passé du stade des timides tentatives pour sortir de l'impasse à celui des çlaires revendications poli tiques pour tirer le pays de la situation où les bolchéviks l'avaient mis. Entre-temps, l'assemblée de délégués du 3 avril avait préconisé certaines mesures pour combattre le chômage et voté une protestation contre l'évacuation des entreprises industrielles ; elle avait entendu avec sympathie la Biblioteca Gino Bianco 205 motion des ouvriers ' des usines SiemensSchuckert réclamant la formation d'un gouvernement composé des représentants de tous les partis socialistes et de nouvelles élections aux soviets. Les débats consacrés au 1er Mai avaient porté sur la famine, sur l'envoi d'une délégation à Moscou pour établir un contact permanent entre les travailleurs de Pétrograd et ceux des autres villes, étendre le mouvement d'opposition à l'ensemble du pays. Au cours de ces débats, Glébov, ouvrier de l'usine Poutilov, s'éleva contre toute participation à la manifestation organisée par le gouvernement : . Nous devons appeler tous les travailleurs à décider que la journée du 1er Mai sera un jour de deuil, à arborer aux fenêtres des drapeaux noirs et à ne pas sortir de chez soi. Nous soulignerons ainsi tout ce que nous avons perdu depuis un an. L'assemblée décida néanmoins de prendre part au cortège, mais sans se mêler aux bolchéviks qui, par la bouche de Zinoviev, menaçaient de réprimer toute manifestation d'esprit d'indépendance. Mentionnons encore que, dans son rapport, le délégué Smirnov proposa les mots d'ordre suivants : « Du pain et du travail ! A bas Brest-Litovsk ! Convocation de l'Assemblée constituante ! A bas l'arbitraire et la violence ! » En avril et en mai, il devint évident qu'il ne fallait compter sur aucun changement substantiel de .la politique bolchéviste. Lénine n'entendait faire ni concessions ni réformes. Alors. les ouvriers comprirent qu'il fallait changer les hommes au pouvoir. A la conférence du 18 mai, lorsque la pénurie alimentaire vint en discussion, les délégués de Pétrograd présentèrent une motion liant indissolublement la question du ravitaillement à celle du pouvoir : « La conférence des délégués d'usine, disait la motion, réclame la convocation de l'Assemblée constituante. » Pour combattre la famine, il fallait « rétablir les organes administratifs locaux et leur confier le ravitaillement ». La question de la grève politique générale fut posée. d'abord pour des raisons d'autodéfense. Dès la fin mars, on savait que les autorités bolchévistes s'apprêtaient à interdire la conférence. Un communiqué d' A. Krasnianskaïa, secrétaire du bureau de la conférence, publié dans le journal Outro (le Matin), annonça que le 31 mars, à 8 heures du matin, six gardes-rouges s'étaient présentés au siège de la conférence avec un mandat de perquisition délivré par la Tchéka : ils avaient emporté livres, brochures et autres documents. Cette , ,

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