Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

204 · profonde résonance que ce mouvement trouva dans les masses prolétariennes. QUEL ÉTAIT l'état général de la Russie au printemps et en été de 1918, alors que s'affirmait le mouvement des délé-/ gués d'usine? Après la dissolution de l'Assemblée constituante, le choc le plus rude qu'eut à subir la conscience politique des masses ouvrières fut le traité de Brest-Litovsk. De nombreux bolchéviks eux-mêmes refusaient de l'accepter. Au sentiment d'humiliation nationale se mêlait l'idée que cette paix entraînerait la désagrégation de la Russie en tant qu'Etat : l'Ukraine, la Crimée~ le ~auca~e allaient être coupés de la Russie, Dieu sait pour combien de temps. Capitulant honteusement devant les impérialistes allemands, les bolchéviks avaient accepté toutes leurs conditions afin de maintenir le pouvoir de leut coterie. On les accusa d'avoir « vendu » la Russie, ce qui éloigna d'eux jusqu'aux s.-r. de gauche leurs alliés les plus sûrs. Pendant ce temps,' dans tout le pays, le mot d'ordre du « pouvoir sur place » continuait à favor~S(;f l'arbitraire et l'anarchie. Entre les « comttes révolutionnaires », qui remplaçaient bien souvent les soviets où les bolchéviks ne parvenaient pas à obtenir la majorité, les « troïka >> ou les « piaterka » ( comités de trois ou de cinq membres), enivrés de leurs prérogatives administratives, et la population, des heurts sanglants se produisaient. Les commissaires, recrutés parmi les soldats ~t les marins, appliquaient dans les ville~ leurs ~éthodes expéditives de répression massive. Toutes les libertés, toutes les garanties politiques étaient pratiquement abolies et le règne de la force brutale commençait. · A l'anarchie politique s'ajoutait la ruine économique, le manque de combustible et de produits alimentaires, la désorganisation des transports, la fermeture des entreprises, le chômage et la famine des masses ouvrières, la démobilisation chaotique de l'armée. La « main décharnée » de la famine, évoquée avant Octobre par l'industriel Riabouchinski, menaçait d'étrangler la révolution. A Pétrograd, en avril 19_18, la pénurie de denré~s alimentaires était à son comble. Le 28 avril, le Bureau central. du ravitaillement informa la population qu' « ·en raison de l'épuisement des stocks de blé et du retard survenu dans le transport de céréales, il se voyait obligé, à partir du lundi 29; de réduire la ration quotidienne de pain à un huitième de livre pour B1bliotecaGirJOBianco LE CONTRA.,:SOCIAL toutes les catégories de cartes, y compris les cartes ·de travailleurs de force » 1 • Ce lundi noir entre tous provoqua un tel sentiment de révolte dans les masses populaires que les bolchéviks durent, dès le 30 avril, rétablir la ration d'un quart de livre •de pain· par jour. Les chiffres suivants .témoignent du chômage qui régnait alors à Pétrograd-, · à Moscou et dans d'autres villes industrielles. A Pétrograd, 832 entreprises industrielles employaient, en janvier 1917, 365 .800 ouvriers ; en avril 1918, les effectifs étaient réduits à 1.44.500, soit une baisse· de 60 %. A Moscou et dans ses .environs, en avril· 1918, 36 manufactures de textiles, comptant 130.000 ouvriers, et 24 · usines de constructions mécaniques, occupant 120.000 travailleurs 2, fermèrent leu~s portes. A Pétrograd, le mouvement d'opposition dans les masses ouvrières s'étendait pour d'autres raisons encore. Le traité de Bres~- Litovsk faisait craindre que· la ville ne soit livrée aux Allemands. On envisageait de transférer à Moscou le Conseil des commissaires du peuple. Des rumeurs prêtant au gouvernement l'intention d'évacuer Pétrograd en emmenant l'outillage industriel aggravaient l'effervescence des ouvriers. Aux usines Pôutilov, Oboukhov, Seniiannikov, à la manufacture de cartouches, etc., des meetings de protestation réunissant · des milliers de travailleurs étaient suivis de heurts avec les gardes-rouges. C'est dans cette atmosphère que naq1:1it le mouvement _des délégués d'usine. · . A la conférence du 18 janvier . prirent Ja parole les délégués ouvriers·· des différents arrondissements. Ceux du quartier de Pétrograd (rive droite de la Néva), de l'arrqndissement d'Okhta, de l'usine Poutilov (fermée · à cette époque), des usines Siemens-Schuckert, Oboukhov (dont on attendait la fermeture), etc., constatèrent à l'unisson qu'un « changement · profond s'était produit dans l'état d'esprit des masses ouvrières » et approuvèrent les initiatives prises pour ·grouper les .ouvriers sans-parti autour de la défense de l'Assemblée constituante. La conférence décida également de mettre au point un « plan de travail pour suivre l'évolution de l'état d'esprit des masses ouvrières ». Les comptes rendus des réunions tenues de mars à juin 1918 par les. délégués d'usine de Pétrograd fournissent une ample documentation pour définir les sentiments qui animaient alors les ouvriers. 1. Chélavine : • Histoire du comité bolchéviste de Pétersbourg •, in Annales rouges, 1929. 2. L'Ouvrier de Pétrograd, 2 Juin 1918.

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