E. DEL/MARS militaires, la pénurie de communistes compétents imposa de recruter des spécialistes qualifiés, gens d'ancien régime qui n'avaient rien de commun avec le bolchévisme. Leur collaboration avec les communistes n'était souvent ni sincère ni dévouée, mais il fallait vivre. Les adversaires du régime qui n'avaient pas réussi à gagner l'étranger à la fin de la guerre civile se terraient dans les services officiels et dans les entreprises de la nep. Ils entraient en contact les uns avec les autres, s'efforçaient de correspondre avec l'émigration, et complotaient sabotages et attentats, surtout en palabres d'ailleurs. Les criminels de droit commun fourmillaient dans les villes et les campagnes. La Tchéka, dirigée par Félix Dzerjinski, était sans cesse sur le qui-vive, souvent débordée, et s'efforçait par tous les moyens d'identifier et de mettre hors d'état de nuire tous les éléments hostiles. On fusillait tous les jours. La peine de mort, abolie en 1920, avait été rétablie en 1922. Voyons maintenant les adversaires à l'étranger. Wrangel, replié en Crimée et battu sur l'isthme de Pérékop, fit rassembler les 13 et 14 novembre 1920 dans les ports de la Crimée 126 navires et y embarqua quelque 135.000 personnes, parmi lesquelles 70.000 soldats et officiers. Après une pénible traversée, ils furent débarqués à Constantinople et dans les environs. Wrangel refusait de considérer son armée comme dissoute et ne renonçait pas à l'idée de reprendre la_ lutte contre· les bolchéviks. Cette attitude le mit en conflit avec les Alliés. La France, qui l'avait aidé pendant l'évacuation, refusa de le soutenir plus longtemps et déclara le 17 avril 1921 qu'elle ne reconnaissait plus son armée. Les combattants réfugiés furent installés dans les camps militaires de la presqu'île de Gallipoli et dans l'île de Lemnos, d'où plus tard ils seront transportés en Bulgarie et en Yougoslavie 2 • Outre ces épaves des armées blanches, une très nombreuse émigration, composée des représentants des classes privées de leurs droits civiques par les bolchéviks, se trouvait à l'étranger. Depuis 1917, à chaque occasion propice, propriétaires terriens, industriels et banquiers, savants, écrivains, hommes politiques, journalistes, avocats, artistes, acteurs, musiciens et non-prolétaires de tout poil quittent la Russie par les voies les plus variées. Aucun dénombrement exact n'existe pour les années 1921-27, 2. P. Milioukov, Ch. Seignobos et L. Elsenmann : lllatoire de Rua,ie, Paris 1933, t. III, p. 1313. BibliotecaGino Bianco 67 mais les calculs les plus sérieux indiquent un effectif de près d'un million d'émigrés. En 1932, la Commission spéciale pour les réfugiés de la Société des Nations évaluait leur nombre à 844.000 âmes environ : soit 400.000 en France, 150.000 dans les pays slaves, 120.000 dans les pays limitrophes de !'U.R.S.S. et le reste en Chine et en Mandchourie 3 • A l'exception de sa fraction militaire, qui s'efforça de maintenir aussi longtemps que possible sa cohésion, une discioline volontairement ... acceptée et la subordination à ses anciens chefs, l'émigration devint très rapidement un champ clos où s'affrontaient les rescapés de divers partis politiques. L'éventail de ces partis était vaste et leur activité très inégale. La haine du bolchévisme et la conviction que le régime soviétique ne tarderait point à être renversé par un soulèvement populaire aidé par les forces des émigrés, étaient les seuls points communs des différents credo politiques. Incapables d'agir sur le sol même de leur patrie, les émigrés s'épuisaient dans des luttes intestines, chacun prétendant à la direction du combat et voulant réunir autour de soi le plus grand nombre possible d'adhérents. Les « aurochs » monarchistes, légitimistes inconditionnels, fossiles organiquement incapables de comprendre la situation politique, avaient formé à Berlin un « Conseil monarchiste suprême », où les anciens dirigeants des fameuses « centuries noires » de l'Union du peuple russe, continuaient de brandir leur slogan traditionnel : « Assomme les Juifs et sauve la Russie », tout en cherchant vainement parmi les quelques Romanov rescapés un candidat présentable au trône vacant. La masse des anciens militaires des armées blanches rêvait, tout comme l'extrême droite, du rétablissement rapide de la monarchie. Son candidat au trône était le grand-duc Nicolas, ex-commandant en chef des forces russes pendant la majeure partie de la première guerre mondiale. Chacun des deux grands chefs de cette masse militaire, le général Wrangel et le général Koutiépov, comptait sur la prétendue popularité du grand-duc en Russie pour y installer leur propre pouvoir. Les jeunes officiers ne rêvaient que soulèvements, attentats et sabotages, tout en conduisant leur taxi ou en travaillant chez Renault. Les services de renseignements de tous les jeunes Etats limitrophes de !'U.R.S.S. (Pologne, Estonie, Lettonie, Finlande et Roumanie) utilisaient souvent leurs bonnes volontés pour les expédier 3. Ibid., pp. 1313-14 . ..
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