.... 68 comme espions ou saboteurs en Russie, fréquemment avec le concours de l'intelligence Service. Il n'y a pas lieu de parler ici d'émigrés à tendances démocratiques, constitutionnels-démocrates ou social-démocrates menchéviks, qui se bornaient au combat idéologique et à la propagande antibolchévique à l'étranger, sans aucun danger immédiat pour le Kremlin. En revanche, Boris Savinkov, le fameux ter- . roriste de l'Organisation de combat du parti socialiste-révolutionnaire, s'agitait beaucoup dans les milieux polonais, français et britanniques. Réfugié à Paris après que la Tchéka eut écrasé les insurrections organisées en 191819 à Iaroslav!, Rybinsk et Mourmansk par son « Union pour la défense de la patrie et de la liberté », il parvenait encore, grâce au concours des services secrets polonais et britanniques, à envoyer ses terroristes en Biélorussie et même plus loin. D'autres émissaires, officiers blancs, travaillaient pour le compte de divers généraux émigrés, pénétraient par la frontière turque jusqu'au Caucase du Nord et fomentaient des troubles chez les cosaques du Térek et du Kouban. CETTE SITUATION complexe dans le camp de ses ennemis tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger présentait des dangers multiples pour le Kremlin. Selon Dzerjinski, chef de la Tchéka, il était indispensable de « prendre des mesures efficaces pour défendre le pays, pour le préserver de ses ennemis jurés - l~s interventionnistes étrangers, les contrerévolutionnaires, terroristes et espions ( ...). Il fallait découvrir les filières dont les monarchistes se servaient pour leurs contacts avec l'étrang~r ( ...), il fallait parvenir à contrôler toute l'activité de ces ennemis acharnés de la patrie » (p. 64). Le meilleur moyen était la classique méthode de provocation qui consiste à introduire chez l'ennemi un ou plusieurs agents, à la fois espions et provocateurs, capables de s'emparer en tout ou en partie de la direction des organisations adverses. La fameuse Okhrana, police politique secrète du tsar, avait en son temps mis parfaitement au point cette méthode de lutte contre les révolutionnaires. Rappelons qu'elle avait tenté de mettre la main sur le mouvement naissant du prolétariat industriel grâce aux « organisations d'entraide » créées en 1901-1903 sur l'initiative du colonel S.V. Zoubatov, chef de BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL l'Okhrana de Moscou. Ces organisations, subventionnées sous main par la police, devaient faire accroire aux travailleurs que le tsar était de leur côté, contre leurs exploiteurs, et qu'il était de leur propre intérêt d'abandonner l'activité révolutionnaire prêchée par les socialistes et d'attendre les réformes qui allaient être promulguées par le souverain. Zoubatov, ayant échoué, fut révoqué en 1903. Cet échec persuada la police tsariste que le mouvement révolutionnaire·, de plus en plus menaçant, ne pouvait être étouffé que dans le sang. Un autre agent de l'Okhrana, le pope Gapone, curé d'une paroisse des quartiers ouvriers de Saint-Pétersbourg, fut chargé de former des organisations ouvrières à l'instar de celles de Zoubatov. Grâce aux fonds fournis par la police, au prestige qui lui conférait sa qualité de prêtre, et à son éloquence, il per- ~ suada les travailleurs d'aller présenter à leur « petit père le tsar », bien disposé à leur égard, une pétition exposant leurs doléances. Les travailleurs des divers quartiers devaient se rendre en cortèges pacifiques, avec icônes, bannières d'église et portraits du souverain, en chantant des cantiques et l'hymne national : « Que Dieu protège le tsar », sur la place du Palais d'Hiver, se mettre à genoux et présenter très respectueusement leur supplique. Pendant les quelques jours nécessaires à la préparation de cette paisible manifestation, l'Okhrana et le ministère de l'Intérieur s'empressèrent de renforcer la garnison de la capitale. Près de 140.000 personnes, hommes, femmes et enfants, descendirent dans la rue dans la matinée du 9 janvier 1905. Leurs pieux cortèges furent soudain mitraillés par la troupe, sabrés et piétinés par la cavalerie, notamment sur la place du Palais d'Hiver, d'où le tsar était absent ce jour-là. Les manifestants qui s'enfuyaient étaient sauvagement poursuivis par les cosaques et les gendarmes à cheval. On déno~bra près de mille ·morts et plus de deux mille blessés. Ce « dimanche sanglant » indigna toute la population de l'Empire. Au lieu d'étouffer le mouvement de revendication, il déclencha la révolution de 1905. Mais la meilleure leçon léguée par l'Okhrana à son émule communiste, la Tchéka, fut certainement la célèbre affaire Azev. Evno Azev était entré au service de la police tsariste en 1893, à l'âge de 24 ans. Chargé de renseigner ses chefs sur les révolutionnaires russes réfugiés en Allemagne, il fit ses études d'ingénieur à l'Institut polytechnique de Karlsruhe. En 1899, il adhéra à l'Union des
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