Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

Débats et recherches LES INDUSTRIELS COMME CLASSE DIRIGEANTE* par Pierre LA PRÉSENTE ÉTUDE tient pour acquise, au départ, l'existence d'une inégalité sociale et d'un ou plusieurs groupes dirigeants (la vision marxiste de la société sans classes et sans Etat est une exception qui confirme réellement la règle, puisqu'elle est la contrepartie dialectique d'une description de la société existante portant à l'extrême l'inégalité et le conflit). Elle consiste dans l'entrecroisement de deux oppositions : fonction et position ( ou, selon la terminologie saint-simonienne et comtiste, « capacité » et « pouvoir »), et politique et non-politique ( technique, économique, social) ou encore Etat et société. Autrement dit, d'une part (et l'on trouve ici les O!.":ginesintellectuelles de la querelle entre C. Wright Mills et les autres fonctionnalistes ), le groupe dirigeant dirige-t-il parce qu'il est plus capable de gérer la société dans son propre intérêt, mais aussi dans celui de l'ensemble, ou parce qu'il est plus capable de vaincre dans la compétition pour le pouvoir, et, partant, de dominer la société ? D'autre part, l'élément décisif, qu'il s'agisse d'une fonction ou d'une position, est-il extérieur à l'autorité politique, celle-ci n'en étant que le déguisement, la consécration ou la conséquence ? Le fait de détenir les leviers (ou de constituer les rouages) essentiels de la machine technique, économique et sociale, donne-t-il à un groupe une certitude, une probabilité, un droit d'accès au pouvoir politique ? Ou bien, au contraire, y a-t-il, d'une part, une fonction politique spécifique, pour laquelle les hommes politiques ne sauraient être avantageusement remplacés ni par les industriels, ni par les managers, ni par les syndicalistes, et, d'autre part, un pouvoir Biblioteca Gino Biar Hassner effectif, ou réel, important, lié à la détention de l'autorité légale ou formelle et qui permettrait souvent aux « délégués », « représentants », « hommes de paille », « agents » des « véritables » détenteurs du pouvoir ou de la légitimité, de se retourner contre leurs prétendus maîtres ? La question la plus immédiate qui émerge du rapprochement de ces deux oppositions est donc : quel est le rôle des hommes politiques (ou, si l'on préfère, du personnel politique, du « stratum politique » de Dahl), de ceux qui détiennent l'autorité politique, et de ceux dont la profession ou l'activité principale consiste à s'efforcer de la conquérir pour l'exercer dans la société industrielle ? Le problème des rapports entre fonction technique et pouvoir politique entraîne des complications considérables, qui tiennent à la fois à la définition des termes en présence et à celle de leurs rapports. Le premier point a été mis en lumière récemment par M. Merle 1, et surtout par Jean Meynaud 2 : il tient à l'ambiguïté des termes de « technicien » ou de « technocrate », ambiguïté qui n'est pas moins grande pour un terme comme « bureaucratie », qui a la préférence des sociologues d'inspiration • Extrait de la troisième partie d'un rapport présenté par l'auteur, avec la collaboration de Marie-Thérèse Lancelot, à une • table ronde • organisée en novembre 1963 par l'Association française de science politique sur le thème : • La Classe dirigeante : mythe ou réalité ? •· La suite de ce rapport, intitulé Le Problême de la classe dirigeante dans l'histoire des doctrines de sociologie politique, étudiait Mnx Weber, Marx, les théories post-marxistes de la • nouvelle classe • bureaucratique et les théories occidentales de la pluralité des élites fonctionnelles dans la soclé.té industrielle. 1. In Politique et technique, Paris 1958, p. 62. 2. J. Meynaud : Technocratie et politique, Lausanne 1960; • A propos de la technocratie •, ln Revue franraise de science politique, 11 sept. 1961, pp. 679-80.

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