B. SOUVARINE noïaque. Staline s'apprêtait à exterminer ses complices les plus proches, Vorochilov (en tant qu'espion anglais), Mikoïan, Molotov, « il avait de toute évidence le dessein d'en finir avec tous les anciens membres du Politburo ». Il « monta » lui-même l'affaire « ignoble » des médecins du Kremlin, ordonnant leur incarcération et les mauvais traitements à leur infliger, prescrivit de les « battre, battre et encore battre », fit enchaîner l'académicien Vinogradov, enjoignit au ministre de la Sécurité : « Si vous n'obtenez pas les aveux des médecins, nous vous trancherons la tête. » Tous les innocents se reconnurent coupables. Khrouchtchev omet de signaler que deux d'entre eux périrent sous les coups, mais il a le toupet d'affirmer un peu tard : « Nous sentions cependant que le cas des médecins était douteux. » Ce qui ne semble pas douteux du tout, c'est bien l'hypocrisie de :Khrouchtchev et de toute l'équipe dirigeante. En France, des profanes de notre espèce n'avaient aucun doute 7 • Certains passages du discours secret décèlent les hésitations et dissensions qui freinaient l'action de la direction collective dans l'opération que, faute de mieux, l'on appela « déstalinisation », terme contenant une once de vérité pour deux onces d'illusion. Ainsi quand Khrouchtchev impute à Staline la responsabilité des désastres essuyés par les armées soviétiques dans les deux premières années de la guerre, il évoque « la répression instituée contre certains cadres militaires depuis les commandants de compagnies et de bataillons jusqu'aux plus hautes sphères militaires », ajoutant que « les chefs ayant acquis de l'expérience en Espagne et en Extrême-Orient furent presque tous liquidés », mais il ne prononce pas les noms de Toukhatchevski, de Iakir, d'aucun de leurs compagnons d'infortune, il ne donne aucun chiffre évaluant l'ampleur hallucinante du massacre des cadres militaires. Visiblement, les dirigeants politiques n'étaient pas d'accord entre eux sur l'opportunité de la « réhabilitation » des maréchaux, des généraux, 7. Cf. • Un Caligula à Moscou. Le cas pathologique de Staline•• suivi de• Le grand secret du Kremlin•, in B.E.I.P.1. supplément du n° 98, Paris, 16 novembre 1953. • Un Caligula au Kremlin •, ln B.E.1.P.1., n° 102, Paris, 16 Janvier 1954. • Khrouchtchev confirme le B.E.1.P.1. et persiste dans le stalinisme •• in E!I et Oue!I, n° 149. Paris, 1er avril 1956. Les confidences transmises à notre collaborateur N. Valentlnov par deux visiteurs soviétiques venaient de V.I.MeJlaoukr ex-président du Go1plan, vice-président du Conseil supéneur économique, membre du Comité central et du Soviet 1uprême, ainsi que de son frère Ivan, haut fonctionnaire communiste éffalement, tous deux assa&1lnéspar ordre de Staline, • réhabl tés • ensui te r.ar les complices du paranotaque. Aucun sovlétologue dlst ngué n'accepta cette ver1lon convaincante venue de source s1lre, la seule qui répondit aux que1tlon1 le• plus troublantes posées par les crimes mon1trueux de Staline. Biblioteca Gino Bianco s dont les noms n'apparaîtront un à un que dans les années suivantes, sans doute après d'âpres disputes au Comité central. Khrouchtchev dépeint l'attitude prostrée, abjecte, de Staline pris au dépourvu par l'offensive allemande, et il fait table rase de tous les mérites imaginaires que le despote obtus s'inventa pour forger sa légende de grand capitaine. Non seulement Staline était responsable de l'impréparation, de l'incurie qui facilitèrent l'invasion, mais il resta sourd aux avertissements multiples qui en annonçaient l'imminence. Et pendant les hostilités, son aveuglement et son incapacité sous tous les rapports causèrent des pertes insensées en vies humaines : un seul exemple précisé montre que « nous perdîmes en conséquence des centaines de milliers de soldats ». Khrouchtchev ne se borne pas à déboulonner Staline déguisé en « génie militaire », il le couvre de honte et de ridicule en tant qu'auteur de ses propres panégyriques, censeur et correcteur d'ouvrages historiques où il se campe en poses avantageuses, voire héroïques. Il le bafoue comme rédacteur du fameux Précis d'histoire du Parti qui sera bientôt mis au pilon. Il le discrédite comme politicien, comme théoricien, comme économiste, comme administrateur, après l'avoir déshonoré comme assassin et bourreau de ses plus proches camarades. On ne saurait résumer tant d'atrocités et de turpitudes, le discours secret en déborde, étant entendu que « Staline était convaincu d'agir dans l'intérêt de la classe laborieuse, pour la victoire du socialisme et du communisme ». Du moins ne peut-on s'abstenir de mentionner encore les « déportations en masse de peuples entiers, y compris tous les communistes et komsomols sans exception », en 1943 la déportation totale des Karatchaï et des Kalmouks, en 1944 des Tchétchènes et des Ingouches, puis des Balkars, « y compris les femmes, les enfants, les vieillards, les communistes et les komsomols ». Khrouchtchev oublie sciemment les Allemands de la Volga et les Tatars de Crimée, mais il ironise lourdement à propos des Ukrainiens qui « n'évitèrent un même sort que parce qu'ils étaient trop nombreux, il n'y avait pas de lieu pour les y déporter ». Pourtant une note exceptionnelle et discrète de pitié se fait entendre, semble-t-il, quand il parle de la « misère » et de la « souffrance » de tant de martyrs. SUR DES POINTS ESSENTIELS Khrouchtchev a gardé un silence complice de Staline ou tenu des propos implicitement complices du stalinisme, dénotant ainsi le sens très limité,
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