Le Contrat Social - anno X - n. 1 - gen.-feb. 1966

6 très relatif, de la « déstalinisation ». Il s'affirme solidaire de Staline contre toutes les tendances communistes que la répression a chassées de la scène, puis retranchées du nombre des vivants, quitte à regretter modérément la férocité des moyens mis en œuvre et tout en les regardant comme une « lutte idéologique ». Il n'a pas un mot de réprobation au sujet de la collectivisation agraire accomplie par les pires violences homicides, d'où s'ensuivit une immense famine et des maux indicibles pour toute la population pendant plus d'un quart de siècle. Il n'a pas mis en cause le système policier d'arbitraire et d'iniquité qui sert d'armature à l'Etat soviétique, se contentant de critiquer certains « · abus » de pouvoir en les inscrivant au passif personnel de Staline (ou de Béria, son compère). Il n'objecte rien à la politique extérieure couronnée par le pacte infâme conclu entre les communistes et Hitler, d'où ont découlé la deuxième guerre mondiale et son cortège de malheurs pour toute l'Europe. Il se tait sur la judéophobie stalinienne, la saignée · de l'intelligentsia juive, les préparatifs du grand pogrome final, les mesures de discrimination raciale toujours maintenues en vigueur. Autant de preuves majeures attestant que la direction collective dont Khrouchtchev était le porteparole ne renie nullement l'essentiel du stalinisme sous le pseudonyme fallacieux de marxisme-léninisme. Le discours secret n'a rien dit de la mort de Staline, dont les circonstances sont restées obscures, ni de la fin tragique d' Allilouïeva, sa femme ; ni des conditians dans lesquelles ont péri Enoukidzé, Mdivani, Ordjonikidzé, ses compagnons les plus proches; ni du pourquoi et comment de l'assassinat de Kirov, tout en promettant une enquête qui dure encore; ni des moyens employés pour machiner les « procès en sorcellerie », de sinistre mémoire ; ni de la façon dont Staline a décapité l' Armée rouge ; ni de ce qu'a été réellement une certaine « affaire de Léningrad », encore mystérieuse ; ni de bien d'autres choses effarantes qui entachent à jamais non seulement un individu et son culte, mais toute une oligarchie et son régime. Khrouchtchev n'a certes pu admettre en public qu'une longue série de crimes ·s'expliquerait par une idée fixe de Staline, dans sa « folie lucide » selon le langage des psychiatres, celle de s'entendre avec Hitler, par conséquent de supprimer tous les obstacles humains susceptibles de se mettre en travers. Il n~a pu parler non plus des crimes crapuleux de Molotov, de Kaganovitch, de Vorochilov, de Malenkov, ses collègues du Présidium qui de- (;3ibliotec~aino Bianco ... LE CONTRAT SOCIAL vaient voter avec l'unanimité du Congrès, selon la règle du milieu, nonobstant leur opposition plus ou moins sourde en petit c_omité : à ce moment l'unité de façade tient encore, et il incombera au XXIP Congrès, en 1961, de déballer en partie ce linge sale et sanglant qui infirme la thèse du culte de la personnalité . unique. Parmi bien des mensonges, explicites ou par omission, Khrouchtchev a dit vrai en déclarant, le 22 mai 1959, que son discours secret tendait à « libérer les forces créatrices du peuple », sous-entendu : trop longtemps paralysées par la terreur. Du même coup, il les déchaînait en Pologne, en Allemagne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, même en Géorgie où se produisirent ·des événements mémorables. Une sovié- '" tologie pédante prévit que l'imprudent orateur paierait cher sonJncontinence· de langage, mais il n'en fut rien, car Khrouchtchev n'avait fait qu'interpréter une volonté collective. Une opposition mal assurée, velléitaire et minoritaire, confinée au « sommet », ne pouvait que se taire et, d'ailleurs, n'a jamais eu la parole à aucun des trois derniers Congrès, comme il se doit dans le parti de Staline où perdure un stalinisme invétéré, sans la démence du maître, et dont le temps peu à peu atténue la virulence. Le culte de Lénine en remplace un autre, au profit des exploitants du rituel, et le mensonge majeur du socialisme réalisé, préparant le communisme à brève échéance, reste de profession obligatoire, codifié dans un nouveau « Programme » au comble du charlatanisme. Le Parti incarné par sa direction collective, avec ou sans Khrouchtchev, monopolise tout ce dont il se croit capable, au mépris de la soviétologie qui discerne à sa tête des libéraux, des technocrates, des dogmatiques, des militaires, des pacifistes, des va-t-en-guerre et des Chinois, d'où il appert que les affaires •,•• ,• A sov1et1ques sont trop ser1euses pour etre confiées à des soviétologues. Khrouchtchev, l'homme indispensable d'une transition périlleuse, a eu des mérites certains aux yeux de ses collègues malgré ses insuffisances et ses manières, entre autres celui de suivre le conseil de Lénine : « Ne pas verser de sang dans le Parti », ce qui lui vaut à son tour une retraite paisible. La mêm~ équipe gouverne, sans lui, plus digne, moins bavarde, se renouvelant avec lenteur en cooptant des hommes formés à la même école. Aussi serait-il vain de ·s'interroger sur ce que, dans son empirisme, pour le prochain Congrès numéroté XXIII, elle peut tenir en réserve.

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