LA CONFÉRENCE DE ZIMMERWALD par William Korey C OMME POUR ILLUSTRER la curieuse per• versité grâce à laquelle Clio parvient à ses fins, le mouvement communiste international fête aujourd'hui un demisiècle d'existence en reprenant la controverse qui fit rage lors de sa fondation et qui à présent menace de le déchirer. Les trente-huit délégués venant de onze pays qui se réunirent, sous le couvert_ d'un secret absolu, au village de Zimmerwald, .dans les montagnes de Suisse, du 5 au 8 septembre 1915, rédigèrent un manifeste et donnèrent naissance à un mouvement qui devait constituer la pierre angulaire de l'Internationale communiste, fondée quatre ans plus tard. Au cours des discussions, les délé, gués eurent à aplanir, au moins temporairement, de graves différends qui les opposaient sur les questions de stratégie et de tactique, différends que l'on retrouve dans la controverse présente entre Moscou et Pékin. Parmi les questions débattues à Zimmerwald. alors que la guerre « chaude » embrasait la plus grande partie de l'Europe, il y avait cellesci : Quelle stratégie l'aile gauche du socialisme <levait-elle suivre pour mettre un terme à l 'holocauste ? L'objectif majeur des socialistes étaitil la paix ou la révolution ? La vieille forme d'organisation de lutte internationale était-elle périmée et fallait-il lui en substituer une nouvelle ? L'unité de l'aile gauche au prix d'un compromis était-elle indispensable à l'efficacité de la lutte internationale, ou valait-il mieux en venir à la scission ? Il faut remarquer que la question des « guerres de libération nationale », aujourd'hui à l'ordre du jour, fut effleurée au cours des préliminaires de la conférence. L'arrière-plan de Zimmerwald était l'effondrement de la Ile Internationale en 1914. Lorsque les grands partis socialistes se rangèrent derrière les gouvernements « bourgeois » de leurs pays respectifs en votant les crédits de guerre, en participant à des 1ninistères de coalition et en faisant preuve, sous des formes diverses, d'un patriotisme actif, la croyance fondamentale des socialistes, pour qui l'appartenance de classe l'emportait sur la fidélité nationale, fut Biblioteca Gino Bianco violemment ébranlée. Egalement ruiné fut le principe socialiste essentiel, adopté au congrès de Stuttgart en 1907 (et réaffirmé lors de réunions internationales ultérieures), selon lequel une nouvelle guerre générale devait fournir aux partis socialistes l'occasion de mobiliser la classe ouvrière contre le régime capitaliste. Le patriotisme des dirigeants socialistes de l'Occident effara tout d'abord Lénine et certains militants du mouvement ouvrier international. La stupeur fit bientôt place à la colère : en septembre 1914, Lénine réunissait quelquesuns de ses partisans à Berne pour dénoncer « la trahison envers le socialisme de la part de la majorité de la IP Internationale » 1 . Deux mois plus tard, il appelait à « transformer la guerre impérialiste en guerre civile » et préconisait la fondation d'une nouvelle Internationale, la troisième, qui s'emploierait à « organiser les forces du prolétariat ( ... ) en vue de la guerre civile contre la bourgeoisie de tous les pays ». D'autres socialistes, eux aussi opposés à la guerre et beaucoup plus nombreux que les rares adeptes de Lénine, étaient moins exigeants. Cherchant à raccommoder le socialisme international, ils aspiraient à une paix immédiate sans annexions ni contributions. Le champion de cette tendance était le parti socialiste italien. En avril 1915, ledit parti, avec l'assentiment du parti socialiste suisse, envoya en Angleterre le populaire Odino Morgari, député au Parlement. Morgari proposa à E. Vandervelde, président du Bureau, alors en sommeil, 1. V. I. Lénine : Œuvres, 3° éd., vol. XVIII, Moscou 1935, pp. 44-46. Autres sources de cet article: O. li. Gankin et H. H. Fisher : The Bolsheviks and the \-Vorld "\Var, Stanfor~ ~niversity Press, pp. 309-70; M. Fainsod.: l11ternational Socral1sm and the World War, Harvard Umversily Press, 1935, pp. 61-74; A. BalabanofT : J\ly Life as a Rebel, Londres 1938, pp. 152-56; .J. Maxe : De Zimmerwald au bolchévisme Paris 1920; G. Chklovski : • Zimmerwald •• in Prolelarskail; R.evolioul.'iia (Moscou), 1925, n° 9 (44), pp. 73-106; • Liebknecht und die J JI. lntemalionnle •• in Die Rote Fahnc ( Berlin), 15 Jnnv. 1925, pp. 1-2. Pour l'opinion de L(·nine sur Zimmerwnld, cr. Recueil J.h1l11e, vol. JI, Léningracl 1924, pp. 231-36, ainsi qul' vol. XIV, Moscou 1930, pp. 161-87. Sur l'opinion de (; Zinoviev, rr. a-:uvre.,, vol. V, Léningrnd 102'1, pp. 218~ 225. Sur Il- Jugement de Lfnino nprès ln conrt.\rence d Sot.-iial-Drmokrat (Genève), 11-13 oct. 191!l. • ·
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