Le Contrat Social - anno X - n. 1 - gen.-feb. 1966

Matériaux d/histoire PAGES DE MA VIE par H. D. Stassova ÜN SAIT DE RESTE ce que les communistes osent se permettre en matière d'histoire ou d'historiographie, supprimant tout ce qui les gêne, inventant des choses incroyables, falsifiant les faits les mieux avérés, fabulant sans vergogne à l'appui de leurs « thèses » les plus absurdes ou mensongères. Eux-mêmes en font l'aveu chaque fois qu'un de leurs ouvrages élimine, pour les besoins d'une mauvaise cause, l'ouvrage précédent qui traitait du même sujet et de la même période. Les exemples pullulent, le plus célèbre étant le sort réservé au Précis d'histoire du Parti rédigé à la gloire de Staline. Sous la direction collective, insignifiants ont été les progrès accomplis dans ce domaine, comme le prouvent les comptes rendus publiés dans la présente revue depuis qu'elle existe ; le mensonge officiel persiste en permanence, mis ·au service de la politique du moment telle que les nouveaux dirigeants successifs la conçoivent. Les Mémoires de contemporains soviétiques ne font pas exception à la règle, mais les années passent, le carcan forgé par Staline se desserre peu à peu, les consignes et les censures sont moins strictes sur des sujets qui paraissent secondaires aux puissants du jour et il arrive que les mémorialistes laissent échapper des vérités partielles ou de menus aveux involontaires. C'est pourquoi sont reproduits ci-après trois chapitres des médiocres Mémoires d'Hélène Stassova, parus à Moscou en 1957 (Stranitsy jizni i borby, Editions d'Etat, Littérature politique). IJ est significatif qu'une deuxième édition de cet opuscule, en 1960, ait été amputée (déjà) d'un chapitre, celui qui s'intitule « Dans le parti communiste allemand », sans doute parce qu'on a jugé, en haut lieu, que l'auteur a manqué de prudence, et la censure de vigilance, en livrant au public des détails qu'il vaudrait mieux taire. On en lira plus loin le texte. Le petit livre en question ( 144 pp., réduites à 128 pp. dans la 2e éd.) est tombé dans l'indifférence générale et bientôt dans l'oubli, à juste titre, malgré son tirage de 100.000 exemplaires pour commencer, de 60.000 ensuite. En Russie soviétique, les tirages obéissent à des lois non écrites qui n'ont rien à voir avec l'appréciation des lecteurs : là encore, l'exemple du Précis de Staline, tiré à plus de 50 millions d'exemplaires, en dit plus long qu'un long discours. Hors de l'Union soviétique, personne, à notre connaissance, n'a prêté attention aux Pages de Stassova, que nous allons tirer de leur obscurité pour les raisons suivantes : D'abord, la personnalité de l'auteur, qui se caractérise par l'absence de personnalité au point qu'elle incarne le type même du bolchévik indéfectible, du bolchévik « en ciment armé » ayant survécu à toutes les crises politiques, morales et intellectuelles qui ont transformé le part1 de Lénine en parti de Staline. Hélène. Dmitrievna Stassova est issue d'une famille des plus illustres de l'intelligentsia russe. Son grandpère fut un des plus éminents architectes de SaintPétersbo~rg et de Tsarskoié-Sélo où de nombreux BibliotecaGino Bianco -•, édifices et monuments témoignent encore de ses œuvres. Son oncle, Vladimir Vassilievitch Stassov, est très célèbre en tant que critique musical et historien de l'art, archéologue et folkloriste ; ses travaux littéraires sont considérables et on lui doit, entre autres, le livret du Prince Igor de Borodine. Son père, Dmitri Vassilievitch, j,uriste de profession et musicien par goût, contribua à fonder le Conservatoire de Pétersbourg et, philantrope infatigable, créa et présida d'importantes sociétés de bienfaisance. Sa sœur, Varvara, sous le pseudonyme de Vladimir Karénine, a écrit l'imposante biographie de George Sand en quatre volumes, publiée chez Pion en 1899-1926, que • tous les auteurs français intéressés au sujet mettent largement à contribution, le plus souvent sans indiquer leur source. Quant à Hélène, née en 1873, elle adhéra au parti social-démocrate en 1898, se rallia dès la première heure à l'Iskra et à Lénine, se mit pour toujours au service de la fraction bolchévique, assuma toutes les missions et besognes possibles que lui confia le Parti, fut maintes fois arrêtée, emprisonnée, déportée, devint secrétaire du Comité central pour peu de temps en 1905, poste qu'elle occupa de nouveau en 1917 et jusqu'en 1920, donc avant Molotov et Staline. La liste de ses activités multiples serait ici trop longue, de 1920 à nos jours. Stassova a notamment fait partie de diverses « commissions d'épuration » en raison de son étroitesse d'esprit, de sa fermeté de caractère, de sa dévotion intransigeante aux ordres supérieurs de la hiérarchie, et elle a travaillé au Comité central auprès de Staline. Elle aurait pu, au déclin de son existence bien remplie, laisser une contribution inestimable à l'histoire du Parti et du régime 5oviétique. Au lieu de quoi elle a pondu, âgée de -1uatre-vingt-quatre ans, ces Pages de ma vie pleines de banalités, de clichés, de platitudes, de petites· méchancetés rétrospectives, mais où l'on trouve à son insu quelques indications intéressantes. Elle aura cette .année quatre-vingt-treize ans et il n'y a plus rien à en attendre. Mais précisément le· niveau dérisoire de , • • , • , A • • ses rem1mscences presente un mteret sut generis pour · illustrer le niveaU' intellectuel de l'oligarchie communiste. Et quant aux trois chapitres qui suivent, chacun offre quelque intérêt particulier sans que l'auteur s'en rende compte. Le premier atteste qu'en 1919, les bolchéviks se voyaient à deux doigts de leur perte et s'apprêtaient à rentrer sous tèrre. Il aurait suffi de très peu pour les faire disparaître. Leur justification par la durée est donc un argument sans valeur. Le deuxième, sur le congrès de Bakou, préfiguration de « Bandoeng » en quelque sorte, montre quel cas méritait qu'on en fasse, et pas seulement à cause des marchands de tapis. Le troisième, supprimé dans la 2e édition russe, instruira· ceux qui ;croient encore à l'autonomie nationale de chaque parti communiste. Mais laissons parler les textes ; à part quatre notes de Stassova non signées, nous les avons munis d'un minimum de notes rédactionnelles indispensables.

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