Le Contrat Social - anno X - n. 1 - gen.-feb. 1966

44 faire des progrès à la recherche atomique ou à telle autre recherche. l\. la vérité, ce raisonnement n'est pas décisif, et la science ne se serait sans doute jamais constituée si, pour faire des découvertes, il était nécessaire de partir d'idées justes et de principes conformes. à l'ordre vrai de l'univers. Il n'en demeure pas moins que telle ou telle méthode scientifique donne des fruits et que quand ensuite on dén1ontrerai t qu'elle est erronée, elle serait cependant un moment important dans l'effort humain pour se représenter le monde, ou simplement un aspect du monde. Le cas des sondages est absolument différent. Leur seule utilité ·est de faire connaître l'opinion publique dans des moments où elle n'est pas officiellement consultée, ou sur des questions qui ne lui sont pas officiellement soumises. Si les résultats sont intrinsèquement sans valeur, aucun bon fruit n'en pourra sortir : les sondages seront seulement une source d'erreurs nouvelles dans une arène politique où la confusion est déjà grande. Or comment peut-on savoir si les résultats des sondages ont ou non quelque valeur ? De deux façons seulement : soit par une critique serrée de leurs bases, soit par la coïncidence de leurs résultats avec des résultats obtenus par une méthode sûre. Sur le premier point, nous savons par Jean Stoetzel lui-même que les bases des sondages sont « incontrôlables ». Quant à la coïncidence avec les résultats obtenus au suffrage universel, nous avons vu qu'elle est à peu près inexistante. Nous ne sommes parvenus à trouver des résultats approximativement justes que dans deux cas, et en supposant une erreur minimale de 13 % , c'est-à-dire une erreur excessive lorsqu'il s'agit d'une prévision électorale. Au moment des consultations populaires, on note une discordance extraordinaire entre les sondages et le suffrage universel. CE QU'ON VIENT de dire s'applique évidemment aux sondages électoraux. Lorsque 1 'enquête porte non sur des homrnes, mais sur des problèmes, elle change de nature. Il serait insuffisant de dire que le contrôle est inexistant. L'enquête elle-même ne peut guère faire connaître que le degré d'ignorance du public. Un enquêteur peut parfaitement demander à une m~nagère si elle préfère pour tel produit un -emballage-en verre ou un emballage en matière plastique. Il est extrêmement vraisemblable que la ménagère, dans sa réponse, dira tout ce qu'elle a à dire sur le sujet. En Biblioteca Gino· Bianco ·, DÉBATS ET RECHERCHES ce qui· concerne les questions politiques quelles qu'elles soient, les personnes interrogées, on l'a dit plus haut, sont pour la quasi-totalité incompétentes - au sens courant comme au sens juridique de ce terme - et elles sont en outre interrogées dans des conditions qui faussent d'emblée la règle du jeu politique. Ou plutôt, la façon même dont le public est interrogé· implique - consciemment ou inconsciemment - un choix politique. Il y a, en effet, pour interroger le public, deux méthodes, qui ont des affinités avec deux types différents de structures politiques. Le régime traditionnel, dans les pays libres, est assez improprement qualifié de démocratique. Sans doute mérite-t-il ce nom parce que le gouvernement, en dernier ressort, dépend du vote Ides citoyens. Mais les citoyens ne gouvernent pas eux-mêmes : ou bien ils délèguent la fonction gouvernementale à un monarque provisoire - c'est ce qui se passe aux Etats-Unis - et ils désignent alors des représentants pour limiter le pouvoir du monarque et contrôler son action, ou bien ils nomment seulement les représentants, et le chef du gouvernement est. désigné selon un autre procédé. De toute_façon, ces régimes correspondent à ce que l'ancienne th~orie appelait le « régime· mixte », régime mêlé de démocratie, d'aristocratie et de monarchie. La caractéristique des régimes libéraux des temps modernes, c'est que l'aristocratie héréditaire a disparu ou a perdu son autorité, et qu'elle a été remplacée par une aristocratie élective. La fonction essentielle des citoyens, dans le régime mixte, est de désigner les membres de l'aristocratie politique. Périodiquement, les mandats sont remis en jeu et les citoyens doivent confirmer leur choix, ou le changer. Le citoyen, alors, n'est pas un individu isolé. Il lit, il· écoute les explications qu'on lui ·prodigue, il discute longuement avec son entourage, avec ses voisins, avec ses amis, et il n'est pas rare qu'il aille prendre conseil de qui lui paraît mieux informé que lui, de qui lui inspire confiance. Et au_jour fixé, il vote selon le cérémonial prévu. Le scrutin fait connaître le nom des élus : ainsi se forme une aristocratie de gens versés dans les problèmes politiques, et cette aristocratie joue d'ordinaire un rôle essentiel pour éclairer les citoyens au moment qu'ils doivent participer à un vote, qu'il s'agisse du. renouvellement même de cette aristocratie, ou de quelque autre vote que ce soit : élection présidentielle aux Etats-Unis, référendum là où existe cette institution. Ce qui importe ici, c'est

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