42 certaines données tirées des sondages - ce que font apparaître toutes ces analyses, tous ces chiffres, si on les considère sans prévention et sans parti pris, c'est que l'opinion publique est infiniment moins mobile qu'on ne nous le dit. Les journaux, les professionnels du sondage, qui vivent de l'attention apportée par leur clientèle aux nouvelles de chaque jour, sont portés à romancer la vie électorale. Ils parlent de flux et de reflux, de « creux de la vague », de « cristallisation ». On scrute l'évolution des « indécis », le corps électoral est un fiévreux dont on ne cesse de tâter le pouls. Qu'y a-t-il de vrai dans tout cela ? Très peu de chose sans doute, sinon la fébrilité de gens qui gagnent leur pain de chaque jour en accréditant la fable de la fébrilité universelle. Ecoutez un ·con1mentateur : « Avant le premier tour, l'opinion du corps électoral évolue très vite, et avec une ampleur qui étonne les spécialistes, habitués par les expériences étrangères à moins· de fougue 5 • » En quoi consiste cette rapide évolution ? Tentons de l'apercevoir en examinant le cas du candidat Charles de Gaulle. Mais puisque nous revenons au président, commençons par voir ce qu'ont donné les sondages à l'époque dont nous avons parlé - octobre et novembre 1962 - et pour laquelle il existe des chiffres officiels, l'un pour le référendum, l'autre pour les élections. Ces chiffres, très évidemment, constituent une « fourchette » authentique, obtenue par un procédé expériment~l direct, et qui doit servir de pierre de touche pour les chiffres obtenus « scientifiquement », c'est-à-dire par combinaison, déduction et extrapolation. Ouvrons Sondages, revue de l'I.F.O.P., année 1964, n° 3, page 7. Nous y trouvons un graphique de la popularité du général de Gaulle. Ce graphique tient compte, non des seules opinions exprimées, mais de toutes les personnes interrogées, car outre la courbe des gens satisfaits et celle des mécontents, on y trouve la courbe des indifférents. Les pourcentages sont donc ceux qui valent pour la totalité des électeurs inscrits, et non pour les seuls suffrages exprimés. Pour le ni ois d'octobre 1962, le sondage donne environ 62 % de gaullistes. Or tous les gaullistes et un bon nombre d'antigaullistes ont, au référendu1n, formé ·une masse de 46,44 % . Pour le mois de novembre 1962, le sondage donne un peu plus de 60 % de gaullistes. A ce moment-là, nous l'avons dit, les candidats gaullistes recueillent 23,78 % des voix du corps électoral.. On est confondu par ces discordances. Et ce qu'il 5. Alain Duhamel, dans le Monde du 1er janvier 1966. BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES y a ·de plus extraordinaire, c'est qu'elles ne semblent nullement gêner l'I.F.O.P. Il y a fort loin de 46 % à 62 %, et 60 % n'est pas du même ordre de grandeur que 23 % . Qu'à cela ne tienne. L'I.F.O.P. publie ses statistiques après coup, lorsque chacun peut comparer le délire du sondeur et la réalité du scrutin. Il les publie sans vergogne, estimant sans doute que la science ne peut avoir tort et qu'il n'y a aucune raison pour que les urnes aient· raison. Il faut donc en déduire que l'opinion publique véritable, aux yeux des sondeurs, ce n'est pas celle que révèle le suffrage universel, mais celle que calcule le sondeur. Mais si le suffrage universel est à ce point erroné, pourquoi l'I.F .0 .P. se flatte-t-il d'en prédire les arrêts ? Et si le suffrage universel est la vérité de l'opinion publi- .. que, pourquoi l'I.F.O.P. publie-t-il après coup des chiffres diamétralement opposés à ceux du suffrage universel ? Nous NE TENTERONS PAS de résoudre ces questions. Venons-en plutôt aux recherches qui ont précédé le 5 décembre. Un sondage d'octobre (publié par France-Soir le 21 novembre 1965) accorde à Charles de Gaulle 43 % des suffrages par rapport aux inscrits. C'est un pourcentage extrêmement proche de celui qu'on a vu que publiait Réalités en janvier 1965. Et c'est, selon notre analyse, un pourcentage proche de la réalité pour peu qu'on lui applique la réduction nécessaire de 13 % ( qui le ramènerait à 3 7,4 %). Le sondage suivant, postérieur à l'allocution radiotélévisée du 4 novembre, donne 38 % des inscrits. Avec ce chiffre, de 12 % inférieur au précédent, peut-on dire qu'on a rejoint le palier réel de la popularité , du président ? C'est là, en effet, un pourcentage tout à fait voisin de celui que révélera le 5 décembre. Pourtant ce chiffre n'est qu'un moment dans une série étrange. Dans la seconde quinzaine de novembre, l'I.F.O.P. fait un sondage publié par France-Soir le 28 novembre .. Charles de Gaulle est coté à 57 % des opinions exprimées. Qu'est-ce que cela donne par rapport au total des gens interrogés ? Impossible de le savoir : « L'Institut français d'opinion, qui a enregistré la nette augmentation des indécis, n'est pas en mesure de là chiffrer. » Cette déclaration est bizarre : ne semble-t-il pas. que les enquêteurs aient désappris le mécanisme de l'addition ? Ils ignorent combien de· gens ont répondu à leurs questions, ou du moins combien de gens n'ont pas répondu. Calculons à leur place : dans le sondage précédent, 38 % des personnes interrogées correspondaient à I I
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