• 40 Le vrai problème, d'ailleurs, c'est de comprendre l'admiration des observateurs. Ce sentiment ne peut guère s'expliquer autrement que par le prestige très général dont jouissent aujourd'hui les chiffres - prestige tel, qu'on accepte comme données certaines ou quasi certaines les calculs les plus évidemment suspects. Il faut ici distinguer trois sortes de chiffres. Il y a eu les sondages préélectoraux, il y a eu la présentation de ces sondages, et il y a eu les sondages du 5 et du 19 décembre, fondés sur les résultats d'un petit nombre de bureaux de vote. Commençons par cette dernière catégorie, qui est évidemment la moins discutable. Les sondeurs choisissent des bureaux de vote dans des secteurs où le mouvement de la population a été très· faible au cours des dernières années, ils calculent les écarts du vote habituel de ces secteurs par rapport au vote national, et le jour du scrutin, ils calculent les écarts du vote de ces secteurs par rapport à leur vote habituel. Une extrapolation permet d'annoncer avec quelques heures d'avance ce que sera le vote de la France entière 4 • Il n'y a rien là qui ait le moindre rapport avec .les sondages d'opinion. Cette expérience permettait seulement de voir ce que vaut la méthode de l' « échantillon ». Il va de soi que le résultat ne pouvait être mauvais. Fut-il étourdissant ? Non. Deux points étaient importants : les suffrages recueillis par le président sortant, et la distance entre Mitterrand et Lecanuet. Sur le premier point, l'I.F.O.P. donna une « fourchette » exacte. Sur le second point, ce fut un échec. Le 5 décembre, à 22 h 50, cet organisme annonçait que Mitterrand aurait entre 29 et 31 % des voix, Lecanuet entre 16,5 et 19 %. C'est-à-dire que l'éq1rt minimum entre les deux devait être de 10 % ( 29 moins 19) et l'écart maximum de 14,5 % (31 moins 16,5), l'écart probable se situant donc entre 12 et 12,5 % . L'écart réel fut de 16,38 % , c'est-à-dire de 13 % plus fort que l'écart maximum, de près de 29 % plus fort que l'écart moyen prévu par l'I.F.O.P. L'erreur, . on le voit, est assez considérable, mais cela n'a aucune importance, car ce sondage ne servait qu'à amuser le public, et sans tant de « science » et de machines électroniques le ministère de l'Intérieur, à la même heure, donnait des résultats très semblables à ceux de l'I.F.O.P. Il n'est cependant pas sans intérêt de constater que, s'agissant de chiffres réels, contrô4. On grossit d'ailleurs cette avance en rappelant que la clôture dn scrutin avait lieu à 20 h. Mais naturellement, dans les bureaux de vote choisis pour témoins 1 la clôture était à 19 h. BibliotecaGino Bianco ~• 1 DÉBATS ET RECHERCHES lables; deux des principaux candidats se sont trouvés l'un au-dessous, l'autre au-dessus des fourchettes établies par l'I.F.O.P. Que valent les chiffres de cet organisme lorsqu'ils ne sont pas contrôlables ? Il est difficile de le dire. En tout cas, il y a une chose qui semble absolument exclue pour les gens sérieux, c'est de prendre les chiffres habituels de l'I.F.O.P. pour un pur et incontestable produit de la science. L'examen des sondages préélectoraux et de leur présen_tationest, à cet égard, assez édifiant. Non, d'ailleurs, qu'on n'y puisse trouver des indications dont la suite a montré qu'elles devaient être relativement proches de la vérité, mais on ne peut s'empêcher de remarquer que certains chiffres sont indubitablement erronés et que la présentation et les commentaires sont souvent trompeurs. ,,.•,,. REPRENONS n' ABORD des indications antérieures d'un an au scrutin présidentiel. En janvier 1965, Réalités présentait un sondage de l'I.F.O.P. et concluait : « Le général de Gaulle, s'il se présentait aujourd'hui devant les électeurs, réunirait un nombre de voix lui donnant la majorité absolue au premier tour de scrutin. » Quels étaient donc les chiffres ? Charles de Gaulle recueillait 42 % des voix, tandis que 25 % se partageaient entre Defferre (14 % ), un communiste (6 % ), Tixier-Vignancour (4 % ) et Cornu (1 % ). Le reste des électeurs interrogés (33 % ) ne se prononçait pas. Supposons que l'I.F.O.P. ait établi ces chiffres en toute honnêteté, c'est-à-dire avec autant d'honnêteté qu'il le faisait le soir du 5 décembre, lorsqu'il avait tout intérêt à donner des prédictions exactes, puisque d'une part ces prédictions devaient demeurer sans effet sur les résultats (le scrutin étant clos), et que du reste - la proclamation des résultats allait à quelques heures .de là permettre à chacun de contrôler ses dires. Donc prenons ces chiffres pour authentiques. Deux observations sautent immédiatement aux yeux. La première, c'est que les candidats communiste et socialiste sont sousestimés et que le nombre des gens qui refusent de répondre est très supérieur au chiffre normal des abstentions. Il est à peu près évident que tous, les partisans de l'homme qui est au pouvoir énoncent leur choix, qu'un grand nombre d'adversaires préfèrent le silence. Parce que les membres de l'opposition répondent moins volontiers aux enquêteurs que ceux de la majorité ? Certes. Mais aussi parce qu'à ce momentlà, comme jusqu'à la fin de la campagne électorale, la majorité avait un chef, tandis que
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