Le Contrat Social - anno X - n. 1 - gen.-feb. 1966

N. GAGE alimentaires, de matières premières et de stations balnéaires sur la côte de l'Adriatique pour l'ensemble des pays du bloc communiste. Enver devint fou furieux. Il évita Khrouchtchev jusqu'à la fin de son séjour et, dès que celui-ci fut parti, il reprit ses attaques contre Moscou. Malgré d'autres pressions de la part du Kremlin, Tirana ne rentra pas dans le rang. Khrouchtchev décida alors de faire déposer Enver. Il confia à Michel Souslov - l'homme qui, par la suite, devait être l'artisan de la chute de Khrouchtchev lui-même - le soin de travailler les éléments disposés, à l'intérieur du Parti albanais, à renverser Enver. Agissant par le canal de l'ambassadeur soviétique à Tirana, Souslov trouva deux têtes pour diriger le complot : Kotcho Tachko, président de la commission de contrôle du Parti et ancien ambassadeur d'Albanie à Moscou, et Liri Belichova, la femme la plus élevée dans la hiérarchie et qui était une puissance au Comité central. Mais Tachko et Belichova échouèrent lamentablement. Leur arrestation « pour activités hostiles » fut annoncée en septembre 1960 et depuis on n'entendit plus jamais parler d'eux. Pour Enver, l'occasion de rendre la pareille à Khrouchtchev se présenta à la conférence des ~ 1 partis communistes en novembre 1960. En ·présence de tous les délégués, il se leva et dénonça Khrouchtchev comme « traître à l'idée communiste, faiblard et révisionniste ». « Vous m'avez couvert de boue, camarade, hurla Khrouchtchev après ce flot d'invectives, vous aurez à en rendre compte. » Enver refusa de s'excuser, mais il avait visiblement peur. Il quitta la conférence une semaine avant la clôture et se terra dans sa forteresse de Tirana pendant les mois qui suivirent, de crainte que Khrouchtchev ne le fasse supprimer. Khrouchtchev avait d'autres projets. Il retira les sous-marins soviétiques qui protégeaient l'Albanie de la VIe Flotte américaine, rappela tous les techniciens soviétiques, coupa tous les crédits et suspendit l'aide sous toutes ses formes. Puis, au XXIIe Congrès du P.C. de l'Union soviétique, en octobre 1961, il dénonça Enver et déclara que l'Albanie serait mise au ban de la famille des Etats socialistes. Peu après, Moscou rompit ses relations diplomatiques avec Tirana, à la suite de quoi tous les ambassadeurs des pays de l'Est furent rappelés, à l'exception de l'envoyé polonais, chargé de représenter les absents. Le retrait de l'assistance soviétique faisait s'envoler le rêve caressé par Enver de transformer l'Albanie en un pays industriel, et de BibliotecaGino Bianco 31 plus il ruinait l'économie. La Chine rouge dut acheter 2,2 millions de boisseaux de blé au Canada en 1961 et l'envoyer directement en Albanie pour enrayer une grave disette alimentaire ; il lui fallut également accorder un crédit de 123 millions de dollars pour sauver le pays d'un désastre économique. Certes, l'Albanie a survécu au boycottage, mais elle n'a pas été en état de faire le moindre progrès notable. Si les Chinois ont construit 25 nouvelles usines et ont aidé le pays à atteindre quelques-uns des objectifs les plus voyants du plan quinquennal qui prit fin en décembre 1965, le niveau de vie n'est toujours pas ce qu'il était auparavant. (Pendant les cinq dernières années où l'Union soviétique a aidé l'Albanie, il y avait eu sept baisses des prix ; il n'y en a pas eu une seule depuis que les donateurs sont les Chinois.) ENVER ne peut pas industrialiser son pays sans s'assurer des fondations économiques solides. Il a besoin d'une main-d'œuvre qualifiée, il lui faut de l'outillage et des pièces de rechange, des accords commerciaux libéraux et de gros crédits. Les Chinois ne sont pas en état de fournir l'assistance dont l'Albanie a besoin. Ils ont été généreux pendant une brève période après que Moscou eut interrompu son aide, mais ils ont donné peu par rapport à ce qu'ils avaient . promis. Enver songe à s'adresser ailleurs potJr trouver de l'aide, mais ce n'est possible nulle part. Il ne peut se racommoder avec Moscou (bien que les successeurs de Khrouchtchev aient fait quelques gestes de réconciliation), car il craint toujours la Yougoslavie. Tant que les Soviétiques demeurent en bons termes avec Tito, Moscou pourrait servir aux Yougoslaves de porte d'accès vers Tirana. Enver se rappelle aussi que c'est Souslov qui a tenté de le déposer : il reproche aux nouveaux dirigeants les « crimes soviétiques contre l'Albanie » tout autant qu'il les reproche à Khrouchtchev. Pour ce qui est de l'Occident, l'Albanie n'a plus de relations diplomatiques avec les EtatsUnis depuis 1939 et Enver s'est montré si rigide dans son hostilité envers Washington dans les vingt dernières années qu'une volteface semble impossible. La Grande-Bretagne a rompu les relations avec Enver en 1946, après que deux contre-torpilleurs britanniques curent été coulés par des mines albanaises dans le détroit de Corfou, et les Albanais ont refusé de payer des dommages-intérêts malgré l'avis

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