Le Contrat Social - anno X - n. 1 - gen.-feb. 1966

30 Certes, l'Albanie n'a jamais été ·à la pointe du progrès. Toujours dépendante de l'aide extérieure, la seule période où elle a progressé depuis la guerre a été rendue possible par une aide économique de grande envergure de la part de l'Union soviétique. Cela prit fin il y a quatre ans lorsque Moscou rompit les relations avec Tirana. Depuis lors, Enver essaye d'obtenir de la Chine communiste l'aide dont l'Albanie a besoin, mais il a reçu tout juste de quoi empêcher le pays de glisser à reculons. Au commencement de la deuxième guerre mondiale, Enver, fils d'un négociant suffisamment riche pour lui avoir payé des études en France, était instituteur dans une petite ville albanaise. Il entra dans le mouvement de résistance organisé par les Yougoslaves qui pénétrèrent dans le pays à l'ouverture des hostilités et il s'efforça de gagner leur faveur. Balkanique bien fait de sa personne, ambitieux et fier, affligé d'un léger défaut de langue qui ne faisait que prêter un certain charme à sa. parole, il n'eut aucun mal à se concilier les. Yougoslaves et il fut placé à la direction du Parti albanais. Les Yougoslaves, cependant, ne quittèrent pas le pays après la guerre ainsi qu'Enver l'avait espéré. Au contraire, ils s'incrustèrent, traitant l'Albanie comme une province et Enver luimême comme un préfet. Il ne put pas faire grand-chose jusqu'à ce qu'il obtienne l'aide des Russes quand Staline rompit avec Tito en 1948. Avec les Russes derrière lui, Enver épura impitoyablement les titistes du Parti, il fit exécuter les fonctionnaires yougoslaves, il excita à la révolte les 700.000 Albanais vivant dans la province yougoslave du Kosmet et se répandit en invectives à l'égard de Tito. Il continua dans cette voie pendant des années, persuadé que Belgrade et Moscou resteraient ennemis et qu'il était du côté du plus fort. Aussi Enver fut-il très ébranlé lorsque Khrouchtchev arriva au pouvoir et décida de tenter de se réconcilier avec Tito. Peu après la visite de Khrouchtchev en Yougoslavie en juin 19 55, Enver reçut une note de Moscou qui suggérait de réhabiliter un certain Kotchi Dzodzé, l'un des fondateurs du Parti albanais qui avait été exécuté comme titiste en 1949. Enver fit valoir que la réhabilitation de Dzodzé rouvrirait les portes aux Yougoslaves et mettrait sa position, autrement dit sa vie, en danger. Khrouchtchev insista, Enver refusa, et ce · fut la brouille. Enver fut encore plus bouleversé lorsque Khrouchtchev prononça en 1956 son « discours secret » contre Staline. Notre Albanais . . BibliotecaGino . 1anco \ L'EXPERIENCE COMMUNISTE ne nourrissait aucune affection personnelle pour Staline, mais les méthodes staliniennes le maintenaient au pouvoir et il ne pouvait se payer le luxe de renoncer au symbol~ de son autorité. Malgré les pressions exercées par Moscou, il refusa de faire descendre le dictateur soviétique de son piédestal. Huit mois plus tard, après la révolution hongroise, le fossé entre Tirana et Moscou s'élargit encore lorsque Khrouchtchev refusa de suivre l'Albanie qui voulait mettre la révolte sur le dos du révisionnisme yougoslave. Enver commença alors à défendre Staline en public, quoique avec précaution parce qu'il n'avait pas encore trouvé un nouveau protecteur. « Staline, affirma-t-il dans un discours en 1957, n'a jamais commis d'erreurs dans des . questions telles que (...) la lutte contre l'impérialisme et autres ennemis du socialisme. Il était et il demeure une figure exemplaire. La tragédie de Staline a été que, lorsqu'il commettait de graves erreurs, il pensait .qu'elles étaient nécessaires à la sauvegarde de la révolution. » ALORSque ces paroles provoquaient le courroux de Moscou, elles enchantaient Pékin. Mao Tsé-toung ne pouvait, à l'époque, s'en prendre 1 lui-même ouvertement à Khrouchtchev; il avait besoin de l'aide soviétique pour le « grand bond en avant » qu'il avait en vue pour la Chine. Mais Mao voulait un porte-parole et bien vite il se rendit compte qu'Enver ferait l'affaire. Bientôt on vit arriver des délégations chinoises à Tirana, le personnel de l'ambassade s'étoffa au point que la mission diplomatique chinoise devint la plus nombreuse en Albanie~ et en novembre 19 57 Enver reçut de Pékin un prêt de 25 millions de dollars. Le crédit chinois . en poche, le chef albanais retrouva une nouvelle énergie pour presser son attaque contre la politique du Kremlin. En 1959, Khrouchtchev était suffisamment inquiet pour s'envoler vers Tirana afin de tenter de ramener à lui l'Albanie. Flatté, Enver fit faire à Khrouchtchev un tour du pays pour lui montrer les changements en cours .. Loin d'être impressionné, Khrouchtchev ne cacha pas à son hôte, avec le franc-parler et la bonhomie dont il avait le secret, qu'il était choqué par la prétention des programmes d'amélioration et par les méthodes staliniennes qui, visiblement, persistaient dans tous les domaines. Il . laissa entendre que -1 'Albanie ferait mieux de renoncer à l'industrialisation pour s'employer avant tout à devenir un fournisseur de produits

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