Le Contrat Social - anno X - n. 1 - gen.-feb. 1966

L 'Expérience communiste ALBANIE, ÎLOT DE MISÈRE par Nicholas Gage DEPUIS le premier tournant libéral pris il y a maintenant neuf ans, bien des choses ont changé dans le bloc communiste. Or le pays qui en avait le plus besoin n'a presque pas bougé. L'Albanie - l'Etat le plus petit, le plus pauvre et le plus arriéré du monde communiste - continue de maintenir son rideau· de fer hermétiquement baissé. Pays montagneux grand comme la Belgique, enfoncé comme un coin entre la Grèce et la Yougoslavie, l'Albanie demeure tout aussi armée jusqu'aux dents, sous-alimentée, tyrannique et xénophobe qu'un quelconque satellite soviétique aux plus beaux jours de Staline. Les épurations, les arrestations soudaines et les exécutio.os sont encore monnaie courante. Environ 45.000 Albanais ont été exécutés depuis que les communistes ont. pris le pouvoir en 1944 et 20.000 prisonniers politiques languissent encore dans des geôles primitives. Un Albanais sur cinq sert dans les forces armées ou travaille pour le Sigurimi, police secrète qui inspire la terreur. Le Sigurimi est si efficace, les représailles contre les parents sont si brutales que c'est l'Albanie qui compte le moins de transfuges parmi tous les pays communistes. Le niveau de vie est le plus bas d'Europe. Bien que la population ne dépasse pas 1,8 million d'habitants et que près de la moitié de la main-d'œuvre travaille dans l'agriculture, c'est un pays souffrant de disette chronique. La mince couverture d'industrialisation tissée par le régime communiste ne parvient guère à réchauffer la majorité des citoyens. En fait, où qu'on aille, on baigne dans une atmosphère datant d'avant la deuxième guerre mondiale. La moitié des hommes portent encore BibliotecaGino Bianco le tarbouche turc et le pantalon bouffant généralement abandonné dans les autres Etats balkaniques il y a quarante ans ; quant aux femmes, la plupart portent le costume paysan traditionnel. Le salaire industriel mensuel est, en moyenne, de 7 .500 leks (soit 300 F). Une bonne paire de chaussures coûte presque un mois de salaire et un homme doit travailler un mois et demi pour acheter un costume convenable. Les appareils ménagers sont à ce point hors de portée que l'ouvrier moyen aurait à sacrifier une année de salaire pour acquérir un petit réfrigérateur. Les membres du Parti qui sont bien placés et le~ agents du Sigurimi vivent un peu mieux que les autres. Sur la plupart des tables, Je pain est noir, dur et strictement rationné. Il y a pénurie de produits alimentaires de base tels que matières grasses, fèves et riz. Lorsque les produits sont disponibles, beaucoup d'entre eux sont chers : le sucre coûte 6 F la livre, le beurre 8,75 F, la viande 10 F et le café 20 F. Le principal responsable de cet état de choses est Enver Hodja, premier Secrétaire du parti des travailleurs albanais, qui tient la barre depuis que les communistes sont arrivés au pouvoir à la fin de la deuxième guerre mondiale. Enver ne désire pas du tout se débarrasser du harnachement stalinien qui le maintient en selle, mais il tient beaucoup à édifier l'Albanie économiquement. Il lui plairait d'être le chef d'une nation moderne, industrielle, et, de ce fait, il essaie de donner l'in1pression qu'il gouverne déjà pareil Etat. C'est ainsi qu'il a ceinturé la capitale, Tirana, de larges routes bien pavées, et placé des agents de police aux uniformes élégants à tous les carrefours, cela bien qu'il n'y ait pas mille automobiles dans tout le pays.

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