Le Contrat Social - anno X - n. 1 - gen.-feb. 1966

« TOUT EST PERMIS » par N. Valentinov POUR EXPLIQUER les débuts de la révolution d'Octobre et l'échec du Gouvernement provisoire, on invoque volontiers les malheurs de la guerre et le désir de paix qui avaient créé en Russie des rapports de forces spécifiques entre les classes sociales, rapports que LéPJne utilisa comme un tremplin pour accéder au pouvoir. De mêrrie, pour comprendre comment la révolution a pu survivre aux dures années d'effondrement, on invoque la conjoncture internationale favorable à la révolution, le caractère primitif et la résistance des structures économiques de la Russie, ses richesses naturelles exceptionnelles, et enfin la soumission de populations acceptant sans murmure de se prêter à toutes sortes d'exp~riences. Enfin, pour expliquer des réalisations comme le Dnieprostroï, le Magnitostroï et autres géants industriels, on rappelle l'aide technique fournie par les pays « capitalistes » d'Europe et d'Amérique, et l'on souligne le rôle que joua, dans l'édification des « pyramides industrielles du communisme », un pouvoir fort et dictatorial, s'appuyant sur un parti nombreux et puissant. Quel que soit le point de vue auquel on se place, plus on creuse la question et plus apparaît un vice fondamental commun à toutes ces études sur la révolution bolchévique : une pénétration totalement insuffisante de la psychologie des hommes qui ont fait cette révolution et assurent la continuité du système. Et pourtant ce sont les hommes qui font l'histoire ... Il est significatif que l'on ait pu observer depuis quelques années un regain d'intérêt pour la littérature soviétique. De nombreux chercheurs, déçus par les prédictions des lois imBiblioteca Gino Bianco I muables de l'économie et de la sociologie, doivent recourir à la littérature pour tenter de comprendre du dedans la révolution, pour tenter de comprendre la psychologie même des révolutionnaires. Cette nouvelle 1néthode semble pleinement justifiée. Que disaient, en effet, dans les commencements de la révolution, les lois « immuables » de l'économie politique, de la statistique, de la sociologie, de l'histoire ? Avec l'assu- , rance, voire la suffisance des sciences « exactes », elles prédisaient l'effondrement inévitable de l'expérience bolchévique ; et cela dès que Lénine se fut emparé du pouvoir. Elles l'annonçaient pareillement pendant la guerre civile et au début du premier plan quinquennal. Et pourtant, toutes ces prophéties, ces lois immuables et incontestables se révélèrent inopérantes. Ces prédictions « scientifiques » connurent le sort de celle, formulée en 1914, selon laquelle la guerre ne durerait pas plus de trois mots. L'erreur fondamentale des prédictions fondées sur de telles lois « scientifiques », c'est d'avoir pris pour sujet non pas un homme véritable, mais un ho1nme abstrait, aux qualités moyennes, à la volonté moyenne, à la morale moyenne ; bref, une masse humaine sans visage. Toutes ces lois reposaient sur le principe énoncé par le Bazarov de Tourguéniev : « Il suffit de connaître un seul individu de l'esoèce ,. humaine pour juger de tous les autres : chez tous, on trouve un cerveau, une rate, un cœur, des poumons identiques, et il en va de même pour les qualités morales. » En généralisant ainsi, on perdait de vue l'homme réel ; on oubliait ce dont il est capable lorsqu'il s'écarte, dans un sens ou dans l'au-

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