J. FRANK III D ANS QUELLE MESU~E I?~stoïevski ~ut-il ébranlé dans sa f01 religieuse ? Oui ou non, devint-il à proprement parler un athée à la suite des objurgations de Biélinski ? On ne peut toujours pas le dire avec certitude, les preuves étant contradictoires. D'une part, il affirme avoir ·« tout » accepté des enseignements de Biélinski. D'autre part, nous connaissons son manque d'exactitude quant aux détails, nous avons la preuve de son conflit avec Biélinski sur la personne du Christ et nous avons le témoignage de son ami le Dr Janovski (qu'il n'y a aucune raison de rejeter) selon lequel lui-même et Dost?ï~vski av,aient ~ait maigre ensemble pour le Jeune de 1 Ascension en 1847 et 1849. De plus, lorsqu'on essaye de jauger l'~tat d'esprit de Dostoïevski sur ce point capital, il faut toujours se rappeler qu'il était sujet à ; . . des impressions nerveuses et emotlves qui constituent la source empirique et primitive de toute foi religieuse. Il était alors sans cesse hanté par la peur de la mort, spécialement par la peur, non pas tant d'être vraimen~ tnor_t, que d'être tenu pour mort en état de letharg1e et enterré vivant. Ce n'est certainement pas par hasard que, dans Souvenirs de la 7:1._aisodne.s morts, quand il décrit pour la prem1ere fois le triomphe du sentiment frénétiqu~ et irrat,i.onnel sur la raison, il use pour ce faire de 1image d'un homme qui, enterré vivant, lutte désespérément pour sortir de son cercueil. Dostoïevski était également à l'époque (peutêtre aussi plus tard) particulièrement sensible aux effets produits par le crépuscule et les ténèbres, qui le plongeaient dans un état de mélancolie et d'anxiété vague. Il y a une allusion à ce phénomène dans l'une de ses lettr.e~ écrites en prison en septembre 1849. « y 01~1 venir les pénibles jours de l'automne, confie-t-11 tristement à son frère Michel, et avec eux mon hypocondrie. Déjà le ciel s'a,ssombrit, ~lors que la bande de ciel bleu que 1on aperçoit de ma cellule est le gage de ma santé et de ma bonne humeur. » Dans Humiliés et offensés, roman où il utilise bon nombre de détails qui se rapportent à sa propre vie au cours des années 40: on assiste à l'apparition de cet état d'âme qui nous est dépeint sous un jour quasi religieux. « A l'approche du crépuscule, écrit le héro~, je commençais à to~ber. dans l'état d'esprit qui, maintenant que Je suis malade, me pren~ si souvent, et que j'ai dénommé terreur mystique. C'est la peur, la plus douloureuse et la Biblioteca Gino Bianco 15 plus torturante, d'un danger que je ne pü1s moi-même définir, un péril inconcevable et qui n'existe pas dans l'ordre des choses, mais qui, inévitablement, peut-être à cette minute même, va se matérialiser comme au mépris de tous ' . les argurnen ts de la raison - et qui surgira et se dressera devant moi comme un fait irréfutable, terrifiant, monstrueux et inexorable. » Quoi que lui-même ait pu en dire, comment ne pas tenir compte de cette rencontre avec l'inquiétant et le mystérieux, de ce point d'inte~- rogation massif et irréductible qu'est la sensibilité du romancier ? Il n'est pas difficile d'imaginer que pareilles expériences opposent une barrière permanente et infranchissable à un athéisme rigoureusement rationnel. Quoi qu'il en soit, il est incontestable que les diatribes de Biélinski engendrèrent une profonde effervescence dans l'esprit de Dostoïevski. Laquelle ne trouva sa solution émotive (si l'on peut vraiment parler de solution en pareil cas) qu'à la suite de son arrestation, de sa fausse exécution et de ses années de déportation en Sibérie. Ce furent ces événements qui, s'ajoutant à ses précédentes appréhensions, le confirmèrent dans sa conviction d'une nécessité irrationnelle de la foi. Mais il ne faudrait . . . ) ' . . ; pas imaginer, a1ns1 qu on na Jamais manque de le faire, bien à tort, que Dostoïevski n'a rencontré pour la première fois le problème de Dieu et celui de la foi religieuse que lorsqu'il eut fait connaissance de celui qui était leur adversaire véhément en la personne de Biélinski. Parmi les idées de ce dernier, ce qui bouleversa probablement le plus Dostoïevski, ce fut la rigueur logique et la pénétration psychologique du nouvel argun1ent dû à Feuerbach, suivant lequel Dieu n'était rien d'autre qu'une image aliénée et illusoire des propres _, perfections irréalisées de l'homme. Certes, il a pu en être un moment ébranlé, mais il est possible de montrer comment l'éducation spirituelle qu'il avait auparavant assimilée préparait la voie aux conclusions auxquelles il parviendra en dernière analyse. L'une des impressions les plus fortes produites sur l'imagination de Dostoïevski pendant son enfance fut celle du Livre de Job. « Je suis en train de lire le Livre de Job, écritil à sa seconde femme en juin 1875, et cela me plonge dans une agitation morbide. Je jette le livre et marche de long en large dans ma chambre des heures durant, presque en larmes, et sans les notes stupides du traducteur peutêtre serais-je heureux. Ce livre, Annette, est une chose étrange ; c'est l'un des premiers qui m'ait réellement frappé alors que j'étais pres-
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