8 , ' valeurs transmises se trouvent exposees a une critique comparée, et,- de ce fait, rendues relatives. Dans la première phase, celle de la domination absolue de la tradition, toutes les générations considèrent de leur devoir de conserver et de transmettre les contenus et les formes exactement tels qu'elles les ont reçus ellesmêmes de leurs prédécesseurs. Dans la phase suivante celle de la conscience historique primaire ~n sait que désormais il ne s'agit plus d'acc~eillir seulement l'héritage, mais aussi de créer des traditions. A cet échelon, on observe la généralisation d'un nouveau P?é~omène ; pour la première fois, une contradic~ion pour ainsi dire congénitale est levée dialectiquement : le fils sait qu'il est un père futur ; le père n'a pas oublié qu'il est un arrière-petit~fils. (Au stade de sa maturité, la conscience _historique primaire engen?re les , thèmes ,q~u, par la suite, donneront naissance a la tragedie grecque, le thème d'Œdipe par exemple.) )f * )f A LA SUITE du sentiment illusoire de l'immobilité du temps (ou du hors-temps) qui s'est maintenu pendant des dizaines de milliers d'années surgit, à une époque que déjà on pourrait taxer d'historique, l'expérience selon laquelle le temps progresse, bi~n q~e, t~ès lentement et seulement de màniere hneaire. Cependant, une attitude nouvell~ peut, s'éta_blir _à l'égard du passé et du temps que 1 on vit soimême lors de périodes d'accélération extraordinaire des événements, de crises destructrices ou d'une modification radicale des moyens de production. Bouleversés, les humains prennent alors conscience de vivre dans un espace de temps. Le temps spatial embrasse, avec un passé désactualisé, bien que non entière1!1~nt ·effacé, le passé présent, c'est,-à-dire ~a t:adition vivante et évidemment le present lui-meme. Ce dernier est conçu, vécu et expérimenté comme un prélude à l'avenir. C'est à l'époque où, grâce à la Renaissance, l'Occident aborda le processus, depuis lors ininterrompu de sa sécularisation, que la conscience du temp;-espace commença à s:, dévelol?per. ~t à se généraliser. Au cours d~s .s~ecl~squi ~uivirent cet acte d'audace, la civilisation occidentale s'est épanouie d'une manière inconcevable jusque-là. En dépit des guerres, des catastrophes et des destructions, _i°:sensées, ~'éternel printemps des forces ~reatric~s, d~ 1 Europe dure depuis quelque quinz~ generattons. Ni le nombre des violences innommables ni les excès des passions déchaînées n'ont empêaiblioteca Ç3inoBianco -· 1 LE CONTRAT SOCIAL ché l'Europe de demeurer, dans les domaines essentiels, fidèle à la loi de la mesure. · Bien que l'urbanisation ~e pours1;1ivit~e?~is des siècles presque sans 1nterrupt1on, trreststiblement activée par la révolution industrielle, les valeurs culturelles qui devaient leur origine aux communes rurales étaient préservées. La ville, plus que la campagne,. s'i~s!it1;1ait,~ardienne intelligente de ce qui mer1ta1t d etre sauvé du folklore. Et ce furent des citadins. qui indiquèrent à l'humanité le chemin du retour à la nature. La grande musique - la musique profane après la musique sacrée, et l'instrument~le après la vocale - s'empara de tout ce qut, par la suite allait enrichir immensément l'art musical. ' La littérature, et particulièrement l'art narratif absorba et métamorphosa l'inépuisable trés~r des récits, contes et paraboles populaires nourris d'angoisse et d'espoir, de rêves enfantins et de profonde sagess·e. Il en fut de même dans d'autres domaines, par exemple celui du théâtre, etc. Ce processus de différenciation, de conservation et de transformation allait de pair, d'une part avec l'expansion de l'instruction obligatoire et la suppression de l'analphabétisme, d'autre part avec l'amélioration continue du niveau matériel et culturel de toutes les couches de population des nations industrielles. La culture de masse LES ÉLÉMENTS et la notion même de culture de masse n'étaient point ignorés avant la première guerre mondiale ; cependant, il y a cinquante ans, ils avaient pour les esprits critiques une signification autre que celle que nous leur conférons. Ati début du siècle, c'étaient surtout les marxistes révolutionnaires qui inclinaient à reconnaître dans la masse un facteur historique créateur auquel ils en appelaient et se référaient. Selon eux, à la djfférence de la foule hystérique, portée à l'action irréfléchie· et violente, la masse des prolétaires capables de conscience de classe serait appelée à façonner les prochaines étapes de l'histoire à partir d'un plan préconçu et en conformité avec une théorie scientifique. C'est dans ce sens que Friedrich Engels parlait de la classe ouvrière allemande comme de l'héritière légitime de la philosophie : elle aurait la mission d'appliquer des idées ayant uniquement servi jusque-là à interpréter une réalité qu'il était indispensable de changer.
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