Le Contrat Social - anno IX - n. 6 - nov.-dic. 1965

revue ltistori'lue et critique Jes faits et Jes iJée1 Nov.,.;,Déc. 1965 Vol. IX, N° 6 MYTHES ET FICTIONS par B. Souvarine 0 N EMPOISONNE un verre d'eau, on îî n'empoisonne pas un fleuve. Une '' assemblée est suspecte, une nation est incorruptible comme l'océan » : cette pensée de Lamartine exhumée par Yves Lévy qui la cite dans son dernier article du Contrat social aide à prendre conscience du progrès accompli depuis un siècle, car de nos jours on empoisonne aisément un fleuve et A , • meme un ocean, on peut corrompre une nation et même un continent. La pollution de l' atmosphère et des eaux par les émanations radioactives est à l'ordre du jour en permanence et les savants sérieux s'en émeuvent en public. Parallèlement, l'intoxication politique, intellectuelle et morale de peuples entiers par les mass media, puisque cela s'appelle ainsi, cette intoxication des consciences abêtit l'humanité dans une mesure imprévisible par aucun Lamartine. La science politique, de Platon et Aristote à Machiavel, de Grotius et Hobbes à Montesquieu, de Saint-Simon et Comte à nos contemporains, perd toute vertu dans un monde façonné par la presse à grand tirage, la radiodiffusion et la télévision tenues par des mains indignes. On a vu comment un Staline, un Hitler, ont pu abrutir et fanatiser des multitudes humaines au moyen d'un parti tout-puissant et d'une police secrète capable d'imposer une information monopolisée et des dogmes simplistes, le tout condensé en formules obsédantes. Mais la preuve est faite que, dans les pays où des partis multiples et une presse diversifiée subsistent, il est loisible à quelques individus de « mettre en condition » des populations qui se croient Biblioteca Gino Bianco libres de penser à leur gré. Cette observation n'a rien d'original, mais la progression vertigineuse des moyens techniques propres à l'imprégnation de l'opinion publique porte le phénomène à un point qui ne laisse rien espérer de l'avenir, sauf réaction énergique avant qu'il ne soit trop tard. Il s'agit d'un fait de concentration industrielle et commerciale dont la prospérité, en fonction de l'élargissement continu du marché, exige le mensonge, la vulgarité, la pacotille intellectuelle, pour vendre du papier ou des ondes audio-visuelles. Quand le phénomène se combine avec la raison d'Etat, la mobilisation mentale des masses s'accomplit au service du pouvoir. Mais dans tous les cas, les peuples sont préparés à n'importe quelle aberration collective, même si, en attendant, ils sont , , . . . egares sans rime nt raison apparentes. L'histoire de la conférence de Bandoeng, de la pseudo-solidarité afro-asiatique, du deuxième Bandoeng avorté à Alger et de tout ce qui accompagne ces fictions n'en est que l'illustration la plus récente, la plus frappante aussi par son ampleur. Il n'existe et n'a jamais pu exister aucune solidarité asiatique ni solidarité africaine, enc·ore moins de solidarité afro-asiatique. Asie et Afrique sont des étiquettes géographiques dépourvues de connotations raciales ou politiques. Les politiciens jaunes et noirs qui ourdissent sous de nouveaux vocables des combinaisons éphémères à leurs fins •publicitaires s'inspirent de notions creuses, européennes, inapplicables chez eux comme dans les pays d'origine. Qu'ils mettent en scène un rassemblement à Bandoeng, qu'ils s'évertuent en vain ,

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