Le Contrat Social - anno IX - n. 6 - nov.-dic. 1965

B. SOUVARINE tion » de 1924 qui a complètement perverti et dénaturé le mouvement communiste), que Bela Kun faisait exception, par ses côtés antipathiques. Personne ne l'aimait ni ne l'estimait, et l'on entendait sur son compte des histoires consternantes. Lénine le tenait pour un médiocre, mais ne se décidait pas à le mettre tout à fait à l'écart, quitte à le reléguer dans des fonctions subalternes. A la dévotion de Staline, il assuma les pires besognes jusqu'au jour où, à son tour, il subit le traitement infligé à tant de ses victimes. Sur la liste funèbre, trois noms encore éveillent en moi des souvenirs émouvants, ceux d'Andreytchine, de Peluso et de Koritschoner. Andreytchine était un grand garçon naïf, généreux, spontané, d'opinion anarchosyndicaliste éclectique contrastant avec le dogmatisme des sociaux-démocrates convertis au communisme. Déporté aussi arbitrairement que possible, il survécut pourtant et rentra dans sa Bulgarie natale après la guerre, mais le stalinisme y .sévissait comme en Russie et il disparut sans laisser de traces. Peluso et Koritschoner, si différents d'origine et de tempérament, avaient en commun le goût des idées, la conviction de servir une grande cause et de participer à une grande œuvre, comme tous les volontaires du mouvement socialiste ou communiste à l'époque où ces deux termes avaient un sens, au fond le même sens. Les séparations, les exclusions, les scissions ne m'ont pas permis de suivre du regard, même de loin, l'évolution de mes anciens camarades ni le cheminement qui les a conduits au tombeau : les présents commentaires ne valent que pour la période vécue, celle de mes années d'apprentissage. P OUR PRÉVENIR tout risque de malentendu relatif à ces notes sommaires, qui ne tiennent pas lieu de mémoires, précisons qu'elle ne comportent aucune apologie de ce qui fut, avec Lénine, par contraste avec ce qu'il en advint, sous Staline. La responsabilité originelle de Lénine dans la transformation de la révolution soviétique en son contraire, dans l'instauration d'un régime d'exploitation et d'oppression de l'homme par l'homme qui s'avère l'antithèse du socialisme ou du communisme au nom de quoi il avait été proclamé en Octobre, cette responsabilité est trop patente pour qu'il soit besoin de la souligner à chaque instant. Elle implique nécessairement celle de tous ceux qui furent consciemment associés à la chimérique entreprise, d'abord la responsabilité directe de Trotski, celle aussi des Biblioteca Gino Bianco 353 Boukharine et des Zinoviev de toutes nuances, donc subsidiairement celle des premiers adhérents de la 3e Internationale qui l'ont ralliée par ignorance et enthousiasme juvéniles. Mais il serait profondément erroné de confondre 1~ temps des illusions et celui des profiteurs, le temps de l'utopie et celui de la violence sans bornes érigée en alpha et oméga d'un système politique. Il est incontestable que certaines des victimes susnommées du massacre commis par Staline ont été complices du massacreur, mais avant de se laisser corrompre à Moscou par un pouvoir absolu et absolutiste, elles avaient eu des intentions altruistes et propres. Bien des aspects et des dessous de la vaste tragédie restent et resteront longtemps obscurs. Aussi nos commentaires ne sont-ils écrits qu'à titre de contribution fragmentaire à ce chapitre d'histoire contemporaine. B. Souv ARINE. Post-Scriptum LE DÉLAI IMPRÉVU qui a retardé la publication de ces « commentaires sur le martyrologe » permet d'ajouter après coup quelques lignes de souvenirs et de réflexions au sujet des principaux dirigeants du Comintern absents, parce que Russes, du nécrologe international établi par B. Lazitch. Il s'agit d'abord de Zinoviev, Boukharine et Trotski, tous trois victimes personnelles de l'acharnement homicide de Staline, mais victimes impersonnelles aussi du régime dont ils avaient incarné le principe et les rigueurs. Nonobstant la théorie et les statuts, le Politburo du P.C. soviétique avait la haute main sur l'Internationale et par conséquent Lénine et Trotski exerçaient sur son orientation une influence décisive, incontestée, par l'intermédiaire de la délégatian russe permanente composée de Zinoviev, Boukharine et Radek qui mettait en œuvre les directives du « sommet ». Lénine se tenait au courant de tout, se concertait avec Trotski par téléphone, donnait ses instructions à Zinoviev, mais pour des raisons de méthode et pour économiser du temps il n'intervenait en personne qu'à l'occasion des congrès ou de certaines réunions de !'Exécutif. Trotski, plus spécialement chargé des affaires françaises, ne faisait acte de présence qu'autant que l'exigeaient les crises du Parti en France. Les tâches politiques courantes incombaient donc à Zinoviev et à Boukharine (ainsi qu'à Radek quand . il n'était pas en voyage). Mais Zinoviev présidait en outre le Soviet de Pétrograd qui absorbait le plus clair de ,

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