Le Contrat Social - anno IX - n. 6 - nov.-dic. 1965

B. LAZITCH qui s'abattaient sur elles. Prisonniers de leur marxisme-léninisme-stalinisme, ces communistes ne pouvaient faire intervenir l'élément décisif, pour la simple raison qu'il ne figurait pas dans leur ABC léniniste-staliniste : le rôle essentiel joué par la personnalité et la maladie de Staline. Par conséquent, pour se rapprocher de la vérité sur la cause déterminante des massacres, il faut - au lieu de se limiter au cas d'une seule victime, fût-elle un parti - prendre le Comintern en totalité et introduire dans cette affaire la psychologie, voire la psychopathologie, au lieu de se borner à la politique. Déjà avant d'ordonner le massacre, Staline méprisait le Comintern et ses dirigeants. « L'Internationale communiste ne représente rien et n'existe que par notre soutien », dit un jour Staline devant témoins, et Lominadzé a recueilli le propos 50 • Lorsqu'il décida de ne plus utiliser le Comintern avant de le dissoudre - et lorsque sa furie homicide se déchaîna en 1936-39, sanguinaire et lâche comme il l'était, il trouva pour l'assouvir un champ d'action idéal : le milieu des dirigeants communistes étrangers, battus politiquement, privés de protection juridique ou diplomatique, totalement à sa merci. Aucune explication exclusivement politique ne peut répondre à la question : pourquoi fallait-il assassiner les dirigeants du Comintern au service de Staline depuis de nombreuses années, déjà âgés de soixante-dix ans ou plus et qui étaient retirés de l'arène politique, ainsi que · leurs femmes et leurs enfants ? Mais une fois admis l'élément pathologique, l'affaire devient plus claire et plus compréhensible.· La pathologie joue même ici un rôle plus important que dans les massacres à l'intérieur du parti bolchévik où Staline avait dû mener une lutte pour le pouvoir contre ses concurrents et opposants, alors que depuis 1929 il n'avait dans le Comintern que des sujets dociles qui ne pouvaient influencer en rien les affaires soviétiques. Certes, ce n'est pas Staline en personne qui a dressé les listes de tous les dirigeants étrangers du Comintern voués à la mort, mais c'est lui personnellement qui avait déclenché le mécanisme des purges. Une fois la machine de mort mise en marche, une psychose collective s'est créée à tous les échelons : l'entourage de Staline, les cadres du Parti, les fonctionnaires de la police et les simples délateurs firent excès de zèle pour aller au-devant des désirs et des 50. B. Souvarlne : Slallnt. Aptrçu hl,torlque du bol• dlh,.me, Parla 1935, p. 536. Biblioteca Gino Bianco 347 vengeances de Staline. Le processus fut identique dans le parti bolchévik et dans le Comintern : depuis Manouilski et Togliatti, en passant par les échelons intermédiaires et en descendant jusqu'aux militants de la base, chacun se transformait en complice de cet assassinat collectif, quitte à subir plus tard un sort identique. De même que les Molotov, Kaganovitch, Jdanov, Khrouchtchev, etc., ont joué ce jeu avec succès pour leur carrière personnelle, de même au Comintern quelques dirigeants sauvèrent leur peau tout en creusant la fosse destinée à leurs collègues de la veille. A titre d'exemple, Arvo Tuominen a raconté de quelle manière Manouilski avait mis en accusation Bela Kun ; Herbert Wehnert - témoin de la scène - a raconté comment Togliatti a dénoncé en pleine séance Herbert Schubert. Mais il arrivait beaucoup plus fréquemment que les complices des assassinats périssent à leur tour (ce fut le cas de milliers de tchékistes . russes, à commencer par Iagoda et Iéjov). Herbert Wehnert résume ainsi le rôle et le sort de deux dirigeants allemands, responsables de la section des cadres au Comintern : « Grete Wilde et " Cadre-Müller "' furent eux-mêmes arrêtés, après avoir contribué comme instruments, soit à faire arrêter quelques milliers de membres du Parti communiste allemand, soit à les accabler par leur délation 51 • » La férocité des exterminations réciproques dans le Con1intern s'aggravait doublement, en raison, d'une part, de l'existence de fractions ou d'animosités à l'intérieur de ces partis en exil et, d'autre part, de la haine du chauvinisme grand-russien envers tous les étrangers, suspects par définition. Les membres des fractions hostiles ou tout simplement les militants qui se détestaient mutuellement n'hésitaient pas à dénoncer à la police soviétique (déguisée en Commission de contrôle ou Commission d'enquête) et celle-ci prenait à son compte les dénonciations, faisant arrêter d'abord les dénoncés et ensuite les dénonciateurs. Tous ces dirigeants étrangers réfugiés en U.R.S.S. étaient passés par les prisons « capitalistes » ou avaient été obligés de s'enfuir devant la police « capitaliste » : or, à partir de ce fait, il était facile de construire une dénonciation sur le passé prétendu suspect et les liens supposés de ces militants avec la police « capitaliste ». Les policiers de Staline ne demandaient qu.e cela : les dirigeants étrangers devenaient coupables non seulement d'avoir été politiquement battus dans 51. H. Wehnert, op. cil., p. 165.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==