72 avant vers la transition du capitalisme au socialisme 19 • » On comprend dès lors ce que dicte Lénine en 1923, dans son article« Sur la coopération » : celle-ci y est présentée désormais comme l'élément essentiel de l'instauration du socialisme en Russie : En passant à la nep nous avons forcé la note, non pas en ce sens que nous avons réservé trop de place au principe de l'industrie et du commerce libres, mais en ce sens que nous avons oublié la coopération (...). ...Il nous faut aujourd'hui comprendre et mettre en pratique cette vérité qu'au moment actuel, le régime social que nous devons soutenir plus qu'à l'ordinaire, c'est le régime coopératif. Mais il faut le soutenir dans le vrai sens du mot : c'est-à-dire que cet appui, il ne suffit pas de le comprendre comme le soutien de tout système coopératif; par cet appui il faut entendre le soutien d'un système coopératif auquel participent vraiment les masses véritables de la population ( ...). Cette question offre encore un autre aspect. Du point de vue de !'Européen « civilisé » (possédant un minimum d'instruction), il nous reste à faire bien peu pour que la population tout entière participe activement, et non passivement, aux opérations des coopératives. A proprement parler, il nous reste « seulement » à rendre notre population « civilisée» au point qu'elle comprenne tous les avantages qu'offre une participation généralisée aux coopératives, et qu'elle organise au mieux cette participation. « Seulement» cela. Là est toute la sagesse; c'est tout ce qu'il nous faut pour passer au socialisme. Mais ce « seulement » nécessite toute une révolution, toute une époque de développement culturel de la masse populaire. Voilà pourquoi nous devons avoir pour règle de raffiner et d'équivoquer le moins possible. Sous ce rapport, la nep marque un progrès en ce sens qu'elle s'adapte au niveau du paysan le plus ordinaire, qu'elle ne lui demande rien au-delà; mais pour obtenir, par le moyen de la nep, que l'ensemble de la population participe aux coopératives, il faut toute une époque historique. En mettant les choses au mieux, nous pouvons franchir cette époque en dix ou vingt ans (...). Aujourd'hui, nous sommes en droit de dire que le simple développement de la coopération s'identifie pour nous (...) avec le développement du socialisme. Force nous est de reconnaître en même temps que tout notre point de vue sur le socialisme a radia\lement changé. Ce changement.radical consiste en ceci: autrefois, nous faisions porter le centre de gravité, et nous devions le faire, sur la lutte politique, la révolution, la conquête du pouvoir, etc. Aujourd'hui, le centre de gravité se déplace : il porte sur le travail pacifique d'organisation « culturelle ». Considérant dans leur ensemble les quatre conditions de la réalisation du socialisme en Russie : pouvoir du prolétariat, mainmise de l'Etat sur la terre et les principaux moyens de production, union du prolétariat et des paysans sous la direction du prolétariat, développement de la coopération, Lénine croyait pouvoir déclarer que cet ensemble de conditions représentait tout ce qui est nécessaire pour construire la société socialiste intégrale. Ce n'est pas encore la construction de la société socialiste, mais c'est tout ce qui est nécesgaire et suffisant pour la construire. 19. Œ11'7_:res, t. 32, p. 327. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Ainsi, sous une forme extrêmement concise, en une seule phrase de quelques mots, voici apparaître une théorie complètement nouvelle de l'instauration du socialisme. La formule sacramentelle du «socialisme dans un seul pays » ne s'y trouve pas, mais elle vient immédiatement à l'esprit. C'est là, sans nul doute, une conception nouvelle du socialisme, radicalement différente de cette « vérité élémentaire du marxisme» dont parlait Lénine dans ses « Notes d'un publiciste». Cette «vérité élémentaire du marxisme», F. Engels l'avait établie dès 1847, lorsqu'il disait que la révolution prolétarienne ne pouvait se limiter à un seul pays, quel qu'il fût : La révolution communiste ne sera pas uniquement nationale ; elle se produira simultanément dans tous les pays civilisés, au moins en Angleterre, en Amérique, en France et en Allemagne. Dans chacun de ces pays elle s'accomplira plus ou moins vite selon le développement plus ou moins grand de l'industrie, la quantité de richesses accumulées et l'importance des forces de production. Elle exercera pareillement une influence considérable sur tous les autres pays du monde, et modifiera complètement, en l'accélérant sensiblement, le cours ultérieur de leur évolution. C'est en effet une révolution mondiale, appelée à connaître un champ d'action mondial. Pour Engels, le progrès de la révolution était donc fonction de certains facteurs comme le degré d'avancement de l'industrie, l'accumulation des richesses, le volume des forces de production. La formule de Lénine ne parle pas de tout cela. Dans son article « Sur notre révolution », composé à la même époque que l'article « Sur la coopération », il raille même certains messieurs fort «savants » (guillemets de Lénine) qui tentent de prouver que nous ne sommes pas mûrs pour le socialisme, car, selon eux, « les conditions économiques objectives de l'établissement du socialisme n'existent pas chez nous». Mais si l'absence de ces conditions économiques objectivesne constitue pas un obstacle au socialisme, on peut dès lors le réaliser dans n'importe quel pays arriéré, tel que la Bulgarie ou la Corée, l'Ethiopie ou la Libye. Il suffitpour cela de prendre le pouvoir, de déclarer que tous les moyens de production deviennent propriété de l'Etat, de nationaliser la terre, de mettre les paysans sous la coupe d'un parti révolutionnaire, de contraindre toute la population à adhérer à la « coopération » ou au système des kolkhozes. « Pour accéder à un certain degré de culture, observait Lénine, il faut une base matérielle suffisante » ; or voici désormais que pour instaurer le socialisme, on peut se passer de base matérielle suffisante et d'un certain niveau de culture. Dans la pensée de Lénine, cette base matérielle' et cette culture ne doivent pas nécessairement précéder, mais peuvent suivre la prise du pouvoir par le parti qui se qualifie de communiste. L'article « Sur la coopération» ne parle plus de révolution mondiale. Le « socialisme » dans un seul pays y est envisagé presque sans aucun lien avec cette révolution.
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