Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

186 Il est permis de douter que les situations décrites par l'auteur aient une valeur exemplaire, sans doute peu compatible avec la division du travail et la pluralité des productions. De même, comment croire que la classe ouvrière au sens strict soit près de disparaître dans le creuset d'une société purement technicienne? Seuls les manœuvres tendent à être éliminés du système industriel. Ce que M. S. Mallet nomme la ·« nouvelle classe ouvrière» se réduit à l'ensemble des cadres et techniciens dont l'importance est certes croissante, mais qui se distingue socialement et psychologiquement de l'ensemble des ouvriers. A des degrés variés, ce sont des dirigeants, les ouvriers restant des exécutants. Si les premiers devaient un jour entraîner les seconds dans une révolution anticapitaliste, résisteraient-ils à la tentation de former une classe dirigeante qui, même parée du prestige des <(capacités», n'en serait pas moins une classe de maîtres ? C'est à ce rôle futur de gestionnaire que l'auteur semble destiner les syndicats qui deviendraient, dans sa société technicienne, une institution intégrée à l'appareil directorial. Même si de tels « syndicats » parvenaient à ne pas imiter les partis uniques des sociétés totalitaires, ils auraient perdu leur raison d'être. Une fois de plus, au risque d'être qualifié de « dogmatique », il faut rappeler aux politiciens et aux sociologues que· le syndicat n'est rien s'il n'est d'abord essentiellement l'organisation de défense ou de protection des exécutants en face des dirigeants. Si le syndicat s'identifie à ceux-ci, qui défendra les exécutants contre les empiétements des dirigeants? Le syndicat n'a pas à prendre la relève des comités d'entreprise dont les intentions gestionnaires sont inscrites dans leur constitution. Toute structure hiérarchisée, même instituée par les méthodes les plus démocratiques, sécrète des antagonismes qui nécessitent l'application d'un système contractuel capable d'éviter son éclatement. Le syndicat, dans l'indépendance de toutes les formes de pouvoir, peut contracter avec eux, sans servilité ni tyrannie, ce que ne sauraient faire de nouvelles« Company Unions», même parées d'une étiquette socialiste. Le syndicalisme souhaité par M. Serge Mallet s'apparente à l'idéal saint-simonien, qui faisait bon marché de la démocratie et de la liberté. MICHEL COLLINET. PIERRE BELLEVILLE : Une Nouvelle Classe ouvrière. Paris 1963, Julliard (coll. « les Temps modernes »), 320 pp. BIEN QUE l'ouvrage de M. Pierre Belleville, porte un titre presque identique à celui de M. Serge Mallet, les questions posées ne sont pas les mêmes. M. P. Bellevilledéfinit la « classeouvrière » comme le fait M. S. Mallet, la confondant avec l'ensemble des « producteurs salariés». Mettant l'accent sur ce qu'il y a de semblable dans les Biblioteca Gino Bi-anco LB CONTRAT SOCIAL différentes catégories de salariés, il s'interdit pratiquement d'en analyser les différences. Or c'est cette analyse qui permet au sociologue de créer des types ayant une valeur concrète. A se contenter de descriptions globales, on aboutit facilement aux lieux communs, voire au jargon social pratiqué par les communistes, dans lequel se reflètent, volontairement ou non, les préjugés idéologiques. Malgré son titre, ce livre ne nous apprend pas en quoi et pour quoi la classeouvrière de 1963 n'est plus celle de 1900, en quoi et pourquoi les syndicats actuels diffèrent de leurs prédécesseurs dans leur comportement et leur composition. Il s'agit d'un recueil de cinq monographies décrivant des situations ou des luttes ouvrières de ces dernières années, souvent intéressantes mais muettes sur les modifications structurelles des classes ouvrières. Une première étude porte sur la vie ouvrière, syndicale et politique, du bassin lorrain, avec les références classiques au « paternalisme légendaire » de la famille de Wendel. La seconde s'en prend à ce que l'auteur nomme le « paritarisme » de l'industrie textile à Roubaix. Une organisation paritaire de salariés et patrons étrangère à toute intervention de l'Etat, le Comité interprofessionnel du logement, a contribué à la construction de quatorze mille logements neufs en quinze ans dans une ville de 150.000 habitants, célèbre autrefois par ses taudis. Succès magnifique, dira-t-on. Non, c'est un échec, répond l'auteur, étant donné que ces logements ont suscité dans la classe ouvrière de nouveaux besoins d'équipement ménager, pour lesquels les travailleurs s'endettent. En quoi les commissions paritaires sont-elles responsables? La logique de l'auteur devrait l'amener à souhaiter le maintien des taudis, parce qu'ils n'engendrent pas de nouveaux besoins... La troisième étude porte sur le conflit des usines Neyrpic à Grenoble, qui a passionné la région tout entière, inquiète du sort de cette entreptjse. « La classe ouvrière déborde ses anciennes frontières. » Il en a été et il en sera ainsi chaque fois qu'une industrie vitale pour un pays sera en difficulté. La S.N.C.F. est l'objet de la quatrième étude. Ses transformations techniques, la nature artificielle de son déficit, la situation du personnel et ses réactions, l'attitude des syndicats, etc., consti- --tuent une monographie intéressante en ellemême sur une corporation qui souffre d'un excès d'étatisation. · · Enfin vient un récit des grèves de 1963, en particulier celle des mineurs de charbon. L'auteur, qui semble puiser sa documentation chez les dirigeants de la C.G.T., prend des libertés avec . les faits les mieux établis. Ainsi écrit-il : la grève « n'a rien eu du mouvement spontané d'une base débordant les syndicats » (p. 244). Or aucun • syndicat, la C.G.T. moins que tout autre, n'avait prévu la réaction ouvrièr~. Ce qui est en question,

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